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Toutes les lettres que Mme de Souza lui adresse pendant cette période sont pleines de détails à ce sujet. Comme l’arrogance des émigrés et la bassesse de ceux qui les courtisent sont vivement reproduites dans ces pages familières ! Quand son fils, M. de Flahaut, était aide-de-camp de l’empereur, elle avait mainte occasion de rendre service, et elle s’y employait de tout son cœur. Aujourd’hui ceux qu’elle obligeait hier semblent à peine la reconnaître : vieille histoire sans doute, histoire de tous les temps, mais particulièrement irritante en 1815, au milieu des douleurs de la patrie. De toutes les lettres de Mme de Souza, j’en détacherai une seule qui montre bien la sagesse, la mesure, l’esprit conciliant, et aussi l’inaltérable bonté de cette noble personne.


«..... Je ne pense pas que vous songiez de si tôt à venir ici ; la terre est mouvante, et les cendres brûlent encore. Je ne crois pas à des révoltes considérables, mais la réaction est si forte qu’il y a des mécontens partout. Les troupes (prussiennes surtout) ont si complètement exploité la France, qu’il n’y a que malheurs et malheureux. Cet hiver, le pauvre ne rencontrera que des pauvres, et je tremble pour ces temps, toujours difficiles à passer.

« Si le roi était venu seul en 1814, il n’y aurait point eu de 20 mars. Si dernièrement encore il était revenu seul, il n’y aurait point aujourd’hui d’inquiétudes ; mais sa cour est plus intolérante qu’elle n’a jamais été. À la suite de longues guerres, le péril n’est pas compté pour grand’chose, et beaucoup d’hommes aimeront mieux être pendus qu’humiliés, surtout par des gens qui n’ont jamais vu le feu. Si les nobles consentaient à n’être pas plus royalistes que le roi, on ferait de tous côtés des concessions pour n’être que Français et bons Français ; mais les récriminations partent de toutes parts, et de tous les côtés chacun lit son livre en tournant les feuillets non pas de gauche à droite, mais de droite à gauche. Voilà, ma très chère, notre situation, et si elle n’annonce pas de grands troubles, au moins fait-elle présager beaucoup d’ennuis.

«..... Adieu, ma bonne et chère amie, je vous aime de tout mon cœur, de ce cœur qui en mourant pourra se dire : « Il n’est personne à qui j’aie fait un moment de peine, personne de qui j’aie dit un mot qui pût affliger. » Ce n’est pas assez pour vivre heureux, mais cela suffit au moins pour mourir tranquille. Mille complimens à M. Fabre. »


Ces témoignages si divers ont-ils réussi à convaincre la comtesse d’Albany ? Je serais assez disposé à le croire. Son attachement à la restauration ne garda pas longtemps cette ardeur que nous lui avons vue en 1814 et en 1815. Elle avait vu trop de choses pour compter bien vivement sur la sagesse des hommes. Heureuse du retour de l’ancienne dynastie toscane, elle évita pourtant de prendre parti dans les luttes qui divisaient encore la société européenne. Elle était fort désabusée des systèmes politiques, et malgré l’éducation républicaine que lui avait donnée Alfieri, elle revenait tout simplement au monde de sa jeunesse, à cet idéal d’une société polie telle que le