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plus faible ; les places sont prises sur le sol, et quelques-uns de ces pays voient même s’échapper un courant d’émigration qui maintient au juste niveau le nombre des habitans. Dans les pays au contraire où les espaces sont vastes et libres, comme aux États-Unis et en Russie, l’augmentation se produit avec une énergie toujours croissante. Si donc l’on s’en tenait uniquement aux chiffres, si l’on raisonnait sur les mouvemens de la population sans prendre en considération l’argument de densité et les conditions géographiques qui varient dans chaque état, on s’exposerait à tirer des faits apparens les conclusions les plus fausses. Il est impossible de ne pas se préoccuper de l’augmentation rapide que présente la population de la Russie : la politique doit avoir l’œil ouvert sur cette immense agglomération d’hommes qui se forme à l’est de l’Europe ; mais le fait s’explique, par des conditions naturelles, et d’ailleurs le nombre seul ne constitue pas la puissance. L’avantage n’est pas au pays qui est le plus peuplé, mais à celui qui est le mieux peuplé. Sous ce rapport, la Russie demeure encore bien loin en arrière des pays où la population, également répartie et suffïsamment condensée, s’accroît dans de moindres proportions. Un autre fait essentiel à signaler résulte des chiffres que produit la statistique, c’est que l’accroissement de la population est complètement indépendant de la constitution politique des états. Sous le régime despotique comme sois le régime le plus libéral, en Russie comme dans la grande république de l’Amérique du Nord, la population s’accroît avec une rapidité également prodigieuse. Dans certains pays de l’Italie, où le gouvernement et le mode d’administration provoquent de si vives critiques et même des révolutions, la population est plus dense et elle augmente plus vite que dans certains pays, par exemple en France, en Prusse, en Suisse, où l’organisation politique et administrative est plus perfectionnée. Là ce n’est point une conséquence de la géographie et de l’étendue du sol disponible ; c’est le fait du climat, des mœurs, des conditions de la vie matérielle, des principes qui régissent la famille : problèmes complexes et difficiles, que nous nous bornons à indiquer d’après les données de la statistique, et que celle-ci n’est point appelée à résoudre. On voit combien les comparaisons sont vaines, puisque les mêmes faits se manifestent dans les situations les plus opposées et que les résultats purement numériques se trouvent sans cesse en contradiction avec les spéculations de la science sociale. Un seul point nous semble établi : c’est qu’il ne faut pas, comme on le fait trop souvent, attacher une importance exclusive, à la densité et à l’accroissement proportionnel de la population pour apprécier les degrés relatifs de prospérité et de puissance des divers états. Cette comparaison entre des contrées placées dans des conditions différentes