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était déjà annoncée. « C’est une femme fort riche, y disait-on, et qui vit d’une manière fort noble dans son château.. Elle aussi écrit plusieurs livres qui, étant beaucoup lus en Europe, lui rapportent assez d’argent. » Et c’est parmi ces misérables calculateurs qu’elle va passer quelques années ! »

Dans toutes ses lettres à Mme d’Albany, Sismondi revient sur ce sujet, qui le désole. Son amitié si tendres si dévouée, est comme atteinte d’une blessure profonde ; son cœur saigne. Un tel chagrin ajouté à la douleur des événemens publics est un poids si lourd, si accablant, que ce mâle esprit en éprouve par instans une sorte de désespoir : « Il vous prend, s’écrie-t-il, un dégoût de la littérature, de l’étude, de la pensée, lorsque la vie est si pesante : : il vous prend un sentiment de mort universelle, et je voudrais dormir toujours pour m’arracher à la fois et aux nouvelles des événemens, et aux retours sur soi-même qu’une philosophie impuissante nous fait faire sans résultat. » Il voit déjà son amie traversant l’Atlantique et la colonie de Coppet dispersée pour toujours « Dans trois mois environ, je serai absolument isolé, mon amie sera partie, et elle emmènera avec elle presque tous ceux qui me sont chers. » Un autre jour, il supplie Mme d’Albany de lui venir en aide pour arrêter l’impatiente fugitive : « La résolution est si grande et si difficile à prendre que, si quelque obstacle l’arrête, si quelqu’un la retient ; j’espère encore qu’elle pourra rester ; mais la moindre chose aussi la décidera à partir… Elle juge des Américains par les Anglais, et de ces derniers par ce qu’une imagination toute poétique lui en a fait connaître. » Et enfin, quand il croit que tout espoir est perdu, quand il la voit prendre congé de ses amis, il souffre d’avance pour la châtelaine de Coppet de l’immense déception, du gigantesque ennui qui l’attend au sein d’une démocratie occupée surtout d’industrie et de commerce : « Avant de faire son grand voyage, elle veut traverser lentement la France et séjourner quelques semaines à une distance constitutionnelle de Paris, pour prendre congé de tous ses amis et leur donner occasion de venir la voir au passage. Dieu veuille qu’elle y trouve des gens assez aimables ou assez dévoués pour lui faire regretter plus vivement tout ce qu’elle va quitter !… Pour moi, je n’y peux plus rien, mais je m’en désole. L’ennui de ce nouveau continent me paraît gigantesque, comme ses forêts, ses lacs et ses rivières… »


XI

Ces lettres de Sismondi à Mme d’Albany montrent assez quelle était la sympathie de la comtesse pour tout ce qui intéressait Mme de