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la Bulgarie. Avons-nous des titres pour y échapper ? L’Europe, était la patrie naturelle des loups et des ours : pourquoi la leur a-t-on enlevée ? Il me paraît que les bêtes féroces se vengent.

« J’ai parlé à mon amie et mon hôtesse de votre obligeant souvenir ; elle en est extrêmement reconnaissante, et m’a chargé de vous en remercier. Elle travaille à présent à des lettres sur l’Allemagne où elle compte examiner l’esprit, les mœurs et la littérature de ce pays. Jusqu’à présent, elle n’a fait qu’un peu plus du quart de l’ouvrage ; mais ce qui est écrit me paraît supérieur à tout ce que nous avais vu d’elle. Ce n’est point, comme dans Corinne, le cadre d’un roman où elle place ses observations, elle va droit à son sujet et l’embrasse avec une force qu’on n’attend point d’une femme. Il y a une profondeur vraiment admirable dans le jugement du caractère national, dans la peinture de son genre d’esprit et dans son opposition avec celui de tous les autres peuples. Rien encore de si nouveau, de si impartial et de si pénétrant n’a été écrit, je crois, sur le caractère d’aucune nation. Je suppose que cet ouvrage sera publié dans le courant de l’été prochain. Vous serez, madame, sans aucun doute, des premières à l’avoir. Auparavant vous verrez une tragédie de Benjamin Constant qu’il va faire imprimer cet automne : c’est Wallenstein de Schiller transporté sur la scène française. Je vous en avais parlé avant de l’avoir vu, il a beaucoup surpassé mon attente. La versification est admirable, et peut aller de pair avec celle de nos grands maîtres ; l’observation des règles de la scène française est scrupuleuse, et cependant la nationalité, le caractère des temps et des lieux, sont imprimés sur tous les personnages avec une force et une vérité que j’avais crues jusqu’ici réserver aux Allemands. La pièce est d’un grand intérêt et fait verser beaucoup de larmes. Il est bien fâcheux qu’elle soit trop longue pour la représentation : elle a deux mille huit cents vers, en sorte qu’on ne peut pas essayer de la mettre au théâtre. »


Les consolations littéraires ne sont pas les seules pour ce témoin clairvoyant et attristé. Sous la dictature de plus en plus accablante d’un génie en lutte avec la nature des choses, il y avait des hommes de bien sans cesse occupés, dans la mesure du possible, à diminuer le fardeau des misères publiques. Si Mme d’Albany pouvait signaler a son correspondant l’exemple de la grande-duchesse Élisa, le loyal Sismondi de son côté était heureux de rendre justice au préfet de Genève, M. de Barante.


« ….. Je ne blâme point, quoique je ne les imite pas, ceux qui, en des temps de calamité, entrent dans le gouvernement ; mais puisqu’ils sont sans cesse obligés de porter la désolation dans les provinces et les familles, puisque, maniés comme des instrumens par une main plus puissante, ils frappent et renversent d’après des vues qui ne sont point à eux, ils doivent amplement compenser le mal qu’ils sont forcés de faire par le bien qu’ils font volontairement. Ils doivent consoler les pères auxquels ils enlèvent leurs enfans, les enfans qu’ils privent de l’héritage de leurs pères ; autrement on leur demandera compte du sang et des trésors qu’ils coûtent au