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pas averti l’insouciant écrivain ; il était toujours aussi enclin aux dissipations, aussi prompt à disperser, à disséminer ses richesses, à les semer négligemment autour de lui,

Fleurs d’acacias qu’éparpillent les vents.

Sismondi, dans son amitié loyale, commençait à s’inquiéter. Ajoutez à cela que les lettres de Jean de Müller à Bonstetten venaient de paraître, et que l’enthousiasme du grand historien pour le spirituel voyageur, l’admiration qu’il lui avait si souvent témoignée, la foi qu’il professait dans le développement prochain et infaillible de ce génie en travail offrait un contraste pénible avec le défaut chaque jour plus marqué dont se préoccupaient ses amis. Cette préoccupation était bien vive, quand Sismondi écrivait à Mme d’Albany une espèce d’oraison funèbre sur un homme si jeune encore de cœur et d’esprit. Aux formes qu’il emploie en débutant, on dirait que M. de Bonstetten a cessé de vivre :


« Bonstetten avait été doué d’éminentes facultés, mais non pas du don de les mettre en œuvre. Son imagination était singulièrement brillante, son style en allemand harmonieux et pittoresque. Dans sa jeunesse, il travaillait avec ardeur, il frappait à toutes les portes, il saisissait avec une extrême facilité, et son esprit, qui pénétrait quelquefois par des rayons de lumière dans les profondeurs des sciences, semblait promettre qu’il les posséderait une fois. Cette vivacité pétulante semblait alors un feu que l’âge calmerait en le concentrant. Tout cela a été perdu ; sa conversation, ses écrits, sa correspondance, tout est sautillant, même sa conduite. Sa réputation se dissipe devant lui, et il ne peut pas s’en créer une nouvelle ; au lieu d’avancer, comme on devait s’y attendre, il s’épuise en efforts inutiles pour se retrouver ce qu’il a été. Je l’aime tendrement, car il a précisément la bonté et la vérité de caractère qui attachent le plus, mais je suis navré de ce qu’il reste si au-dessous de ce qu’on pouvait attendre de lui… »


Un critique doué d’une singulière finesse, M. Sainte-Beuve, disait récemment la même chose : « Ce qui manque surtout à Bonstetten dans cette longue vie intellectuelle répandue sur tant de surfaces diverses, c’est un ensemble, c’est un centre ; il n’a pas de quartier-général où l’on se rallie. Son œuvre n’a pas de clocher ni d’acropole. » Ne semble-t-il pas que l’éminent écrivain ait deviné le jugement de Sismondi ? Mais après ces regrets et ces alarmes, il y a un sentiment qui l’emporte toujours dans les lettres de Sismondi sur Bonstetten : c’est la sympathie pour cet esprit toujours en fête, pour cette âme qui rajeunit sans cesse.


«….. Sans doute vous aurez été frappée de l’amabilité infinie de M. de Bonstetten, que vous aviez perdu de vue depuis plusieurs années. Plus je le