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ces allures sans légèreté, que Chateaubriand nous signale. Qu’il y ait dans ces lignes, un sentiment de fatuité mondaine, que l’auteur soit heureux d’opposer secrètement à la Béatrice un peu déformée d’Alfieri la Béatrice toute gracieuse et tout idéale de l’Abbaye-aux-Bois, nous n’essaierons pas de le nier ; ce n’est pas une raison pour récuser un témoignage confirmé par des juges plus bienveillans. M. de Lamartine, qui vit la comtesse d’Albany en 1810, c’est-à-dire à une époque très rapprochée de la date qui nous occupe, la représente à peu près dans les mêmes termes. « Rien, dit-il, ne rappelait en elle, à cette époque déjà un peu avancée de sa vie, ni la reine d’un empire ni la reine d’un cœur. C’était une petite femme dont la taille, un peu affaissée sous son poids, avait perdu toute légèreté et toute élégance. Les traits de son visage, trop arrondis et trop obtus aussi, ne conservaient aucunes lignes pures de beauté idéale. » Il est vrai qu’il ajoute ce correctif précieux, oublié ou dédaigné par Chateaubriand : « Mais ses yeux avaient une lumière, ses cheveux cendrés une teinte, sa bouche un accueil, toute sa physionomie une intelligence et une grâce d’expression qui faisaient souvenir, si elles ne faisaient plus admirer. Sa parole suave, ses manières sans apprêt, sa familiarité rassurante, élevaient tout de suite ceux qui l’approchaient à son niveau. On ne savait si elle descendait au vôtre, ou si elle vous élevait au sien, tant il y avait de naturel dans sa personne. »

Ici les défenseurs de la comtesse d’Albany, qui ne peuvent nier son attachement pour le jeune artiste de Montpellier, essaient de soutenir qu’ils étaient secrètement mariés. — Non, répliquent leurs adversaires. Mme d’Albany installa Fabre auprès d’elle, elle en fit le compagnon de sa vie, elle le fit accepter par le monde de l’empire et de la restauration ; elle le présenta familièrement à l’aristocratie européenne ; elle l’emmena dans tous ses voyages, à Paris en 1810, à Naples en 1812 ; elle vécut enfin sans scrupule et sans embarras comme la femme du peintre, mais elle ne songea pas un seul jour à l’épouser. Nous avons sur ce point un renseignement assez curieux. Le premier volume du supplément de la Biographie universelle, publié en 1834, contient un article sur la comtesse d’Albany, article signé du nom de Meldola, et dans lequel on lit ces paroles : « Quelques biographes ont prétendu que Mme d’Albany s’était unie par un mariage secret à Alfieri, et que, après la mort de ce poète, elle avait épousé M. Fabre. Ce dernier fait est démenti par M. Fabre lui-même, qui regarde le premier comme également controuvé. » Or, comme si cette dénégation imprimée ne suffisait pas au successeur d’Alfieri, il l’inscrivit de sa main sur l’exemplaire qui lui appartenait. Ces mots, elle avait épousé M. Fabre, sont soulignés