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pas un mot, n’écrit pas une ligne qui puisse nous faire soupçonner le fond de son âme ; mais sa conduite nous révèle la vérité tout entière beaucoup plus clairement qu’on ne le voudrait. Quelques mois à peine sont écoulés, et déjà le peintre a pris la place du poète dans l’hôtel du Lung’ Arno ; la casa di Vittorio Alfieri est aussi désormais la maison de François-Xavier Fabre,. Quant à ces salons où la royale comtesse était si impatiente d’avoir sa cour et que la sauvagerie d’Alfieri tenait si obstinément fermés, ils vont enfin s’ouvrir : grands seigneurs et grandes dames, hommes de guerre et hommes d’état, écrivains et artistes, y affluent bientôt de toutes parts ; c’est le foyer littéraire de l’Italie du nord, c’est un des rendez-vous de la haute société européenne. Voilà comment furent célébrées les funérailles d’Alfieri !

Nous voudrions qu’il nous fût possible de voiler ce triste épisode : à Dieu ne plaise qu’on nous accuse d’avoir cédé ici à l’indiscrète curiosité de notre temps ! Les commérages de l’histoire intime ne sont pas de notre goût ; nous ne cherchons pas le scandale, nous ne scrutons pas les mystères de la vie privée. Ce sont là, par malheur, des choses devenues publiques. Et qui donc est coupable de cette publicité ? Mme d’Albany a étalé elle-même une partie de ses fautes dans cette Vita d’Alfieri qu’elle a imprimée librement après la mort du poète, et pour ce qui concerne ses relations avec Fabre, elle n’y a pas, dans son insouciance, apporté plus de réserve. D’ailleurs on a tant parlé de ces singuliers incidens, on a tant discuté le pour et le contre, que notre silence sur un point si délicat serait plus grave encore qu’une condamnation expresse. Comment supprimer tout à fait un épisode qui renferme la conclusion du drame ? Des romanciers se sont plu à mettre en scène la femme de quarante ans, et ils ont eu beau se montrer sympathiques pour des souffrances qui ne dépendent pas du nombre des années ; on voit percer une secrète ironie dans leurs peintures : de quel ton les plus complaisans pourraient-ils raconter ces dernières aventures de la comtesse ? Mme d’Albany avait cinquante et un ans lorsqu’Alfieri mourut, Fabre n’en avait que trente-sept ; la jeunesse de Fabre, jointe à un mérite qu’on ne peut nier, fut peut-être ce qui captiva le plus l’amante si longtemps soumise du misanthrope Alfieri. N’oublions pas cependant que sur un point si délicat des opinions bien diverses se sont produites, et peut-être suffira-t-il de mettre ces opinions en présence pour concilier les devoirs de l’historien avec les justes égards dus à une femme célèbre, dont les dernières années ont laissé un souvenir honorable.

Il n’est pas du tout prouvé, disent les défenseurs de la comtesse, que personne ait remplacé Alfieri dans son cœur. Qu’était-ce que