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REVUE. — CHRONIQUE.

avec sa voix ravissante et un goût dont il n’avait pas encore donné des preuves aussi évidentes. On peut dire que, si Rubini était né pour chanter la musique tendre et mélancolique de son compositeur favori Bellini, M. Graziani est l’interprète prédestiné de la mélopée ardente et fougueuse de M. Verdi.

Le Théâtre-Lyrique a donné deux petits opéras en un acte, la Madone et Aslaroth, qui n’ajouteront rien à sa fortune, mais d’où, nous voulons tirer une morale qui nous ramène à notre point de départ, à savoir : que toute réputation d’artiste exagérée par des articles de journaux complaisans ne peut tromper longtemps l’opinion publique, qui n’est point aussi crédule qu’on se l’imagine. L’auteur de la musique de la Madone, qui depuis vingt ans poursuit une véritable chimère, doit être plus convaincu que personne de la vérité de ce principe. On rencontre à Paris, errans dans les salons, bien des génies incompris de cette force qui se font chanter des hosanna in excelsis dans les petits et grands journaux, et à qui nous prédisons le même sort le jour où ils oseront sortir de la pénombre qui les dérobe au jugement du vrai public.

P. Scudo.

REVUE DRAMATIQUE


Les Effrontés, comédie En cinq actes, par M. Emile Augier.

La nouvelle comédie que M. Emile Augier vient de faire représenter au Théâtre-Français a le grave inconvénient de ne donner envie ni de l’attaquer ni de le défendre. En entendant les rumeurs qui se sont élevées parmi toutes les tribus de la société parisienne, depuis Dan jusqu’à Barsheba, le lendemain de la première représentation des Effrontés, nous avons cru qu’un nouvel Aristophane nous était né, et nous sommes accouru pour voir si le carnage était aussi complet qu’on le disait. Nous avons été quelque peu désappointé en constatant que les ravages, étaient moins grands qu’on ne nous l’avait assuré, et nous n’avons pu attribuer qu’à une sorte de colère panique les émotions orageuses et contradictoires que le public avait rapportées de la première représentation. On nous avait promis un champ de bataille couvert de morts ; nous nous réjouissions d’avance de l’horreur de ce spectacle dramatique qui nous est si rarement accordé dans notre société chatouilleuse, où les satiriques n’abondent guère, n’ayant pas la chance d’y faire fortune. En conséquence nous avions récité pour la circonstance notre suave mari magno, et nous nous délections à l’idée de contempler du fond de notre fauteuil les infortunes des nombreuses victimes de M. Augier. Ô déception ! nous n’avons pas vu un seul des morts qu’on nous avait promis, et nous n’avons rencontré qu’un seul blessé, l’agioteur Vernouillet, car nous ne prenons pas pour une victime l’amusant Giboyer, dont l’épiderme est trop endurci probablement pour avoir été traversé par les épigrammes de M. Augier. Nous nous attendions aussi à être contraint de prendre parti soit contre les injustices de l’auteur et les intentions qu’on lui prêtait, soit contre ses