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temps précieux à illustrer une fable dépourvue de vraisemblance et d’intérêt. C’est que le compositeur pas plus que le directeur du théâtre ne connaissent entièrement le poème dont ils ont accepté la donnée générale. On se réunit, l’auteur de la pièce explique son sujet, il définit le caractère des principaux personnages qui peuvent convenir à tel ou tel artiste de la troupe ; il décrit les scènes importantes, les costumes, les décors et les changemens à vue, et l’on se décide d’après cette explication sommaire, sans connaître un mot du poème. Ce n’est qu’aux répétitions qui ont lieu sur la scène qu’on juge pour la première fois de la vraisemblance, de l’intérêt, du mérite de l’œuvre dramatique qu’on va représenter. Est-il étonnant après cela qu’on nous donne des fables comme les Pêcheurs de Catane ?

C’est M. Aimé Maillart, un musicien de mérite, un artiste sérieux et honorable, qui a eu la faiblesse d’accepter la pièce dont nous venons de parler. M. Maillart, qui est connu par deux ou trois ouvrages qui ont été accueillis avec faveur, surtout les Dragons de Villars, est un de ces hommes pleins d’ardeur, de talent et de bonne volonté, dont il nous serait particulièrement agréable de louer les efforts ; mais il nous est impossible de convenir que, dans les Pêcheurs de Catane, le compositeur n’ait point subi la fâcheuse influence du canevas informe sur lequel il a travaillé. Nous ne dirons rien de l’ouverture, qui manque de caractère, pour signaler le premier chœur que chantent les pêcheurs de Catane, et qui a de la franchise : nous préférons cependant le chœur qui vient après, et qui accompagne la barca.rolle que chante Cecco, l’ami d’enfance de l’héroïne ; mais un morceau tout à fait charmant, aussi bien conçu qu’il est délicieusement accompagné, c’est le quintetto qui succède à la barcarolle de Cecco. La phrase principale, qui est jolie, est ramenée trois fois avec une flexibilité de style qu’on n’avait pas encore remarquée chez M. Maillart. Ce quintetto, qui est aussi musical que scénique, nous paraît être le meilleur morceau de la partition. On remarque encore dans le premier acte une romance pour voix de ténor que débite le triste Fernand, romance parfaitement classique et qui rappelle trop les vieux chefs-d’œuvre du genre, — l’air de danse, qui a de la grâce, la Sicilienne, que chante Nella en s’accompagnant de la mandoline, et toute la scène finale dont les formes sont plus que suffisamment connues. C’est le défaut de la partition que de réveiller trop de souvenirs et de laisser désirer un peu plus d’originalité. Une jolie romance de ténor pleine d’émotion ouvre le second acte : Du serment qui m’engage. Chantée par Fernand, qui n’intéresse personne, la romance est suivie d’une sorte de mélopée dramatique par laquelle Cecco exprime à Nella le sentiment pénible dont son cœur est rempli : Je suis jaloux ! Si M. Balanqué, qui déclame avec talent ce récit, avait une meilleure voix de basse, l’effet qu’il produit serait plus saisissant. J’apprécie fort peu la leçon de vocalise qu’exécute Nella sous prétexte de peindre le vol de l’hirondelle :

Quand l’hirondelle
Revient fidèle
Et de son aile
Chasse les autans.

Ce hors-d’œuvre, qui retarde l’action, ne peut être supportable que dans la