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REVUE DES DEUX MONDES.

portée plus longtemps. Qu’importe ? Le grand idéal de liberté politique et d’énergie individuelle dans un grand état aurait été atteint une fois, et il ne serait pas défendu à l’humanité d’espérer dans le succès ultérieur et plus durable de cette grande entreprise. Il ne nous appartient pas de juger en passant cette belle séance académique où un grand orateur religieux était reçu par M. Guizot, qui a pu faire admirer à un auditoire enthousiaste un des maîtres les plus rares de l’éloquence politique ; mais nous ne pouvons nous empêcher de féliciter et de remercier M. Lacordaire de ce témoignage de foi dans l’avenir de la liberté qu’il a donné en l’honneur de la mémoire d’un des hommes de notre temps qui ont eu au plus haut degré la conscience et le souci de l’avenir.

E. Forcade.

REVUE MUSICALE.

La presse ordinaire, en général, nous semble parfois se faire une trop grande idée du pouvoir qu’elle exerce sur l’opinion publique ; elle est trop portée à croire que, sans le concours de ses lumières, sans les débats contradictoires qu’elle soulève chaque jour, sans l’incitation utile que provoquent ses jugemens, le public ne saurait avoir un avis sur les faits et les œuvres qui passent devant ses yeux. En matière d’art surtout, le plus petit journal s’imagine que, sans les quelques lignes qu’il consacre à un tableau, à un livre ou à un opéra nouveau, le public serait fort embarrassé d’en apprécier la valeur, et qu’il attend, avec impatience qu’on lui fournisse les élémens de l’opinion qu’il doit s’en faire. Il y a là une exagération de la puissance de la presse qui est peut-être nécessaire pour éveiller le zèle, de l’écrivain qui se donne la mission de parler au nom de tous ; mais on se trompe si l’on croit que le public se laisse facilement conduire par le premier venu, et qu’il n’examine pas les titres de celui qui prétend l’éclairer et lui imposer ses jugemens. Il y aurait un travail curieux à faire, ce serait d’examiner les hommes et les œuvres qui sont parvenus à conquérir l’estime de l’opinion malgré le silence et même malgré l’hostilité d’une partie des organes de la presse quotidienne, et de les comparer à ces fastueuses célébrités fabriquées par la camaraderie et par les complaisances d’une publicité sans scrupules. On serait étonné d’apprendre à quoi se réduit l’action de la presse qui méconnaît ses devoirs, et combien sont éphémères les réputations qui ne reposent que sur des articles improvisés chaque matin. Un exemple récent va nous prouver que le public sait, au besoin, résister à la pression qu’on voudrait exercer sur son goût et sur son esprit.

Le Théâtre-Lyrique, qui n’est pas heureux depuis quelque temps et dont l’existence est toujours précaire, a donné, le 17 décembre, un nouvel opéra en trois actes : les Pêcheurs de Catane. Toutes les fois qu’on assiste à la première représentation d’un ouvrage lyrique, on est surpris, et l’on se