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dorée par un soleil ardent. Une musique qui jouait dans la vallée, sur la promenade des baigneurs, m’envoyait ses accens affaiblis. Du côté de la montagne, la verdure sombre des pins se mêlait aux tons adoucis des ormes et des hêtres. Tout ce paysage avait une harmonie incomparable et des lignes d’une surprenante beauté. C’est à Harzburg que le chemin de fer qui court parallèlement au Harz amène la plupart des voyageurs qui veulent entreprendre la facile ascension du Brocken. Parmi les autres villes du pourtour du Harz, j’ai déjà nommé Grund, située au pied de l’Iberg, à l’extrémité occidentale de la chaîne. Sur le bord méridional, j’aperçus seulement de loin Osterode, au milieu de ses blanches collines de gypse, et je ne m’arrêtai qu’à Illfeld, bâti au milieu des porphyres et encadré dans un paysage plein de grâce.

Je quittai cette petite ville pour traverser encore une fois tout le Harz, du sud au nord, dans la région moins pittoresque et beaucoup plus triste qui s’étend à l’est du Brocken. D’immenses plateaux ondulés, à demi défrichés, au sol pauvre et misérable, entourent la région d’Elbingerode. Je sortis du Harz par Blankenburg, petite ville bâtie dans une situation pittoresque au pied de la montagne. De la rampe inclinée qui y conduit, on jouit d’une vue admirable. Dans la plaine s’élèvent des lignes de monticules pareils à de grands murs cyclopéens : ce sont les mitrailles du diable, masses de grès régulières qui prennent de loin l’aspect fantastique de fortifications démantelées et de vieilles tours en ruines. Le vieux château de Blankenburg a pendant deux ans servi d’asile à Louis XVIII. Appuyé contre la haute muraille du Harz, il domine cette grande plaine de l’Allemagne du nord où dans mainte bataille sanglante se décidèrent les destinées de l’Europe. Au moment où je quittai Halberstadt, un furieux orage avait éclaté : la pluie tombait par torrens, et je n’entrevis qu’à travers un voile les pittoresques murailles du diable. En me retournant, je n’apercevais déjà plus la montagne, et le Harz, qui m’était apparu dans un jour plein de calme et de douceur, disparut rapidement derrière les nuées sombres qui avaient envahi tout le ciel, sans que je pusse lui adresser un dernier adieu.


AUGUSTE LAUGEL.