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de cette échelle de vie monstrueuse et informe, on rencontre l’énorme cétacé, le léviathan des mers ; mais son énormité lui est un obstacle à l’individualité. Il peut à peine aimer, combattre et défendre sa vie.

Aussi les trois quarts du livre de M. Michelet traitent-ils des sujets qui se rapportent plus ou moins directement à la mer plutôt qu’à la population même qui l’habite. La première moitié du livre est seule spécialement consacrée à la mer ; encore cette moitié contient-elle sur les phares un chapitre d’un intérêt tout humain. Dans la troisième, l’homme intervient décidément et prend 3e premier rôle. M. Michelet y fait un historique brillant, que nos lecteurs connaissent déjà, des conquêtes de l’homme sur la mer, des découvertes successives des trois océans, des dernières recherches sur les mers polaires ; les Dieppois et les Basques, Christophe Colomb et Magellan, John Ross et sir John Franklin y prennent décidément le pas sur les baleines, les phoques et les crustacés. Cette partie se termine par des considérations personnelles d’un ordre sentimental ayant trait à la pêche et aux inconvéniens de pêcher en tout temps, trop aveuglément et avec trop d’âpreté, — considérations sur lesquelles nous n’aurons certainement pas l’impertinence d’émettre une opinion ; La quatrième partie est exclusivement médicale et hygiénique. M. Michelet a écrit ces dernières pages sous l’empire des préoccupations qui lui ont dicté ses livres de l’Amour et de la Femme. Il suit aux bains de mer la Jeune dame qu’il avait introduite autrefois dans l’alcôve nuptiale, et qui depuis cette époque s’est enrichie d’un ou de plusieurs enfans ; il l’y installe comfortablement, lui récite ses prescriptions médicales, lui écrit ses ordonnances et la salue après lui avoir donné toute sorte de bons conseils d’une moralité irréprochable, que la dame fera sagement de suivre. Il raconte l’origine des bains de mer, en recommande l’usage prudent aux modernes générations, et finit par proposer la construction, sur les bords de la mer, d’hôpitaux destinés aux enfans. Tout cela est fort bien, mais ces considérations hygiéniques ne comblent pas dans son livre une lacune inexplicable : il y manque une cinquième partie, celle qui aurait dû s’appeler la Légende de la mer. Comment donc M. Michelet a-t-il pu laisser échapper un sujet qui lui appartenait doublement, en sa qualité d’artiste et en sa qualité d’historien ? Nous aurions voulu qu’il nous racontât l’histoire fabuleuse de la mer, les superstitions nées de ses terreurs et de ses charmes dans l’esprit des marins et des populations des côtes, les mythologies maritimes des différens peuples, qu’il nous résumât ce que doivent aux phénomènes de la mer la poésie, la religion et la légende populaire. Je lui indique le sujet ; il peut fournir facilement la matière d’un second