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mécanismes spirituels que l’âme se construit pour la facilité de son travail pratique paraissent lui avoir été toujours inconnus. M. Michelet, c’est la métamorphose brahmanique elle-même, et Henri Heine a dit sur lui le mot juste et vrai lorsqu’il a dit qu’il avait une nature d’Hindou, le jugement, que nous croyons fondé, a été contredit par quelques-uns des esprits les plus éminens de notre époque. Selon nos contradicteurs, M. Michelet n’aurait reçu de la nature que de faibles dons ; il serait devenu ce qu’il est par le travail, à force de persévérance et à grands coups de volonté. M. Michelet serait donc, non pas un écrivain de race, mais un illustre parvenu, et cette imagination qui nous charme serait, non pas une fée de naissance, mais une humble fille de ses propres œuvres, ennoblie par son propre travail. Il est impossible d’être contredit plus complètement ; ce jugement est l’antithèse directement opposée à la thèse que nous avions soutenue. Voyons cependant s’il n’y aurait pas moyen de répondre à nos contradicteurs, s’il ne serait pas possible de restituer à l’imagination de M. Michelet ces droits de naissance qu’on veut lui enlever.

Et d’abord je crains qu’il n’y ait quelque confusion dans les attributions qu’on prête à la volonté chez M. Michelet. La volonté a joué chez lui un très grand rôle, je le crois, mais non pas celui qu’on lui prête. Elle a joué un grand rôle dans la direction de sa vie, mais non dans la direction de son intelligence. La volonté lui a proposé un but lointain ; elle ne lui a pas fourni les moyens de l’atteindre. Elle lui a proposé de devenir illustre, il lui a promis de suivre ses conseils ; mais là s’est borné le rôle de cette volonté. Que M. Michelet très jeune se soit dit résolument : « Je veux être illustre, et je le serai, » cela est possible, et certes il ne se ferait pas prier pour avouer qu’il a formé ce désir et qu’il a employé sa vie à le réaliser. « Produire et durer, disait-il un jour, avec cela on a raison de tous les obstacles. » « Il faut bien employer les heures, » disait-il encore à quelqu’un qui le félicitait sur sa fécondité et sa puissance de travail. Employer les heures, voilà chez lui la véritable part de la volonté ; mais ce rôle de la volonté est absolument le même qu’elle joue également chez tous les hommes, qu’ils soient illustres ou qu’ils soient destinés à le devenir, qu’ils soient les favoris ou les parias de la nature. L’homme le mieux doué a un moyen excellent de ne rien devoir à la volonté, c’est de ne rien faire et de laisser ses facultés en friche. Que M. Michelet soit devenu célèbre parce qu’il a eu l’ambition de le devenir, je ne le nie pas ; mais qu’il ait eu du talent parce qu’il s’était juré à lui-même qu’il en aurait, voilà ce que je conteste. Si l’on surprend chez lui l’action de la volonté plus facilement qu’on ne la surprend chez tout autre écrivain, c’est peut-être parce que la nature de son talent lui imposait