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était empreinte d’une mélancolie pénétrante, qui semblait s’inspirer de ce ciel froid, encore à demi assombri par les brumes matinales.

Ce tableau de la vie du Harz ne serait pas complet, si l’on ne faisait connaître les objections les plus importantes que soulève l’organisation du travail dans ces montagnes. Il y a longtemps qu’on l’a dit, les usines de ce district métallurgique donneraient à l’industrie privée des bénéfices bien supérieurs à ceux que l’état en retire. Les partisans de l’administration répondent, il est vrai, que, sous le régime de compagnies particulières avides de profits, une courte période de prospérité attirerait au Harz une population très nombreuse, mais serait bientôt suivie d’une période de décadence, de ruine et de misère. Leur remarque est fondée ; toutefois maintenir le système actuel, c’est reculer la difficulté sans la vaincre. Le temps viendra forcément où l’épuisement des mines du Harz obligera les habitans à s’expatrier et à chercher dans d’autres pays le travail que l’état ne pourra plus leur garantir. Qu’arrivera-t-il alors ? C’est que l’état ne se trouvera pas en mesure de subvenir à leurs besoins et de leur donner une aide efficace, parce que la richesse extraite graduellement et méthodiquement des mines ne sera plus dans ses mains.

Supposons au contraire, en forçant les idées pour mieux les faire comprendre, que du jour au lendemain l’on puisse extraire toute la richesse disséminée dans le réseau des veines métalliques du Harz ; cette masse de métaux s’ajouterait immédiatement à la richesse sociale, et puisque la vie du Harz est une sorte d’utopie réalisée, qui empêcherait l’état, distributeur de cette richesse, de la répartir parmi les habitans de la montagne, et de leur fournir les moyens de fonder des établissemens nouveaux, désormais soustraits à son patronage ? Une partie des habitans, sans quitter le pays où se sont écoulées leurs premières années, s’adonneraient à la silviculture, dont les produits, n’étant plus nécessaires aux mines, seraient vendus avec profit hors du district. Quelques-uns pourraient utiliser leur capital en fondant des industries de montagne et en tirant parti des chutes d’eau, dont toute la force est aujourd’hui réservée aux mines et aux ateliers métallurgiques ; d’autres, je veux bien l’admettre, seraient peut-être réduits à émigrer, mais ils s’expatrieraient dans les conditions les plus favorables, avec un capital d’établissement tout prêt. Dira-t-on qu’un état ne peut adopter des mesures dont le dernier effet serait de le priver d’un certain nombre d’habitans ? Mais il est certain qu’une population peu nombreuse et riche est préférable à une population pullulante et misérable, et que le gouvernement d’une société ne doit avoir d’autre objet que le bien-être de ceux qui la composent. Le Harz d’ailleurs n’est pas