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sa simplicité rustique, tous les agrémens désirables : une vue ravissante, un air salubre, la fraîcheur des eaux durant l’été, pendant l’hiver l’abri des saules épais, et puis cette tranquillité charmante dont on jouit dans les îles.

— Au revoir, Jacques ! dit le docteur en s’arrêtant sur le seuil ; je comprends qu’il soit cruel d’abandonner ces lieux paisibles ; vous y resterez, mon ami… — Puis, revenant sur ses pas : — Dites-moi, je vous prie, vous qui travaillez tout près des luisettes, n’auriez-vous jamais aperçu une certaine fauvette qui a les ailes et le dos de couleur bleue ?

— On n’a guère le temps, quand on bêche la terre, d’examiner les oiseaux…

— La fauvette bleue est rare, mon ami, très rare ; elle habite les oseraies, cela est incontestable. Depuis des années, je la cherche, et tout à l’heure j’ai cm la voir,… j’oserais dire que je l’ai vue. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle doit nicher par ici, et je donnerais tout au monde pour avoir son nid…

— Vraiment, monsieur, ça vous ferait plaisir d’avoir des œufs de cet oiseau-là ?… Oh ! qu’à cela ne tienne, vous en aurez, ou bien jamais cette petite bête-là n’aura niché par ici !…

Le docteur se retira en se frottant les mains. Bien qu’il n’eût qu’un point d’interrogation à tracer sur ses tablettes à l’article fauvette bleue, il se sentait heureux et content. À ses côtés, Bistouri sautait et gambadait, comme s’il eût compris la joie de son maître. Ils allaient donc gaiement, tous les deux, l’homme et le barbet, foulant le sable fin de ces terres d’alluvion fertiles et profondes. Une forte brise de l’ouest, poussée par des nuages bruns qui traversaient l’espace l’un après l’autre comme des ballons, faisait frémir les léards, frissonner le feuillage blanchâtre des luisettes et murmurer les flots jaunes de la Loire. L’eau appelle le vent, qui lui donne la vie et l’animation. De larges voiles, gonflées comme des outres, apparaissaient au-dessous de l’île de Béhuard ; des mouettes noires au ventre blanc prenaient leurs ébats sur les grèves, en répétant à l’envi ces cris étranges qui ressemblent tantôt à des rires, tantôt à des gémissemens. Le docteur, qui avait longtemps navigué sur la mer, ne pouvait rester insensible’ au spectacle de ce grand fleuve, doucement agité par une brise d’ouest, encore imprégnée de la salure de l’Océan. Il s’assit et regarda devant lui les voiles qui remontaient le courant. En avant du convoi, un petit bateau très léger et monté par deux hommes semblait voler sur l’eau ; l’un des deux mariniers piquait des branches de saule dans le lit du fleuve pour marquer les passes, et l’autre manœuvrait la voile. Ce batelet était un aviso marchant en éclaireur devant une flotte ; il précédait