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qui, égarés par les brouillards de l’hiver, descendent des montagnes du centre de la France, et, s’abattant sur nos provinces de l’ouest, les traversent d’un vol inquiet, comme des âmes en peine.

Au sommet de ce rocher mutilé, dont on ne voit plus aujourd’hui que les ruines, se tenait assis, par une belle matinée du mois de mai, un homme maigre, chauve, vêtu d’une longue redingote. Depuis dix ans qu’il habitait le pays, le docteur Christian, — c’était son nom, — venait chaque matin faire une station sur la Pierre-Bécherelle. Après avoir servi longtemps dans la marine, il avait fait élection de domicile sur les bords de la Loire. Les gens qui ont beaucoup voyagé savent mieux que les autres apprécier les sites pittoresques, et lorsqu’ils renoncent à la vie active, ce n’est point au hasard qu’ils choisissent les lieux où ils espèrent passer en paix les années de leur vieillesse. Le docteur Christian vivait seul dans une maisonnette bâtie sur un coteau exposé au midi ; il partageait ses jours entre les excursions dont l’étude des plantes et des oiseaux était l’unique but, la culture de son jardin, et aussi les soins qu’il prodiguait gratuitement aux malades de la commune. Il était du nombre de ces gens toujours occupés, partant toujours heureux, qui ne cessent d’observer, de comparer et de s’instruire. Leur existence est douce, tranquille et enviable ; par malheur, ils y trouvent une satisfaction si complète que d’ordinaire ils arrivent à la dernière heure sans s’être inquiétés un instant de ce qu’il peut y avoir au-delà de la vie présente. Chaque matin, comme nous l’avons dit, le docteur Christian s’asseyait au sommet de la Pierre-Bécherelle, et là, dans une contemplation intense, il prêtait l’oreille aux mille bruits qui signalent le réveil de la nature. Pour témoin de ses méditations et pour compagnon de ses promenades, il n’avait qu’un petit chien du nom de Bistouri, barbet au poil noir, bon trotteur, un peu hargneux, et qui faisait de l’histoire naturelle à sa manière, en chassant les sauterelles et en déterrant les mulots au fond de leur trou.

Le docteur resta environ un quart d’heure, immobile et attentif, savourant en véritable dilettante l’impression de bien-être que chacun de nous ressent à la première heure d’un beau jour. Le soleil versait la lumière dorée de ses rayons sur les coteaux bleuâtres de la rive gauche du fleuve, les saules et les léards plantés sur les îles et à demi baignés par les eaux découpaient leur feuillage tendre sur le sable fauve des grèves. Du fond du vallon montaient les accens sonores du rossignol, qui font songer aux pipeaux des bergers de Virgile.

Au pied de la roche, l’ombre couvrait encore un petit bras de la Loire, étroit et rapide, que parcourait en ce moment un bateau de pêcheur. Le bruit de la rame frappant l’eau profonde attira l’attention