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songeait même pas, en traçant les lignes qu’on vient de lire, à la question que nous traitons ici.

Même livrés à leur seule nature, les Australiens sont fort loin d’être descendus aussi bas qu’on l’a prétendu. — On avait dit que chez eux la famille n’existait pour ainsi dire plus : on avait insisté, on insiste journellement encore sur la facilité honteuse des femmes et l’indifférence des maris ; mais ces exemples ne sont pris que dans les tribus voisines de Sidney, tribus que la civilisation a corrompues, comme elle l’a fait trop souvent ailleurs qu’en Australie. Dans d’autres régions, il n’en est pas de même, et Dawson trace au contraire de la famille australienne un tableau tout patriarcal[1]. — On avait dit, on répète encore qu’ils ne possèdent aucun vestige d’état social, qu’ils sont toujours errans par groupes composés au plus d’une ou deux familles. Depuis longtemps cependant, Gray et le docteur Long ont montré qu’il existe chez eux une répartition en clans sous-divisés eux-mêmes en tribus et en familles, dont le nom se retrouve dans celui des individus ; ils ont donné la liste de ces clans, et fait connaître des usages qui rappellent à la fois l’institution du tabou des Polynésiens et le totem des Américains. De son côté, Sturt a reconnu l’existence de villages fort nombreux, composés parfois de soixante ou soixante-dix cabanes et renfermant jusqu’à huit cents ou mille habitans. — On avait dit, et on dit encore, que les Australiens n’ont aucune idée de la propriété. Cependant les auteurs que nous venons de citer avaient reconnu que chaque tribu possède ses terrains propres, dont les limites, habituellement respectées, ne sont franchies qu’en cas de guerre ou sur une invitation formelle, et que ce droit de propriété s’étend aussi à la famille. — Nous pourrions multiplier beaucoup ces oppositions entre les assertions des polygénistes et les témoignages d’hommes qui, en séjournant sur les lieux, ont pris la peine d’étudier sérieusement ces populations tant calomniées ; mais nous croyons en avoir assez dit pour démontrer qu’à quelque point de vue qu’on les envisage, les facultés intellectuelles des Néo-Hollandais ne diffèrent de celles des hommes blancs que par un moindre degré de développement, et que la variation demeure ici de beaucoup en-deçà des limites que nous avons constatées d’une race à l’autre chez des animaux d’une même espèce.

On n’a pas défiguré d’une manière moins étrange le tableau des qualités morales bonnes ou mauvaises de l’Australien. On lui a reproché comme autant de traits qui lui appartiendraient en propre

  1. Il est bien digne de remarque que, d’après Dawson, la femme, dont la condition est ici d’ailleurs vis-à-vis de l’homme ce qu’elle est chez presque tous les sauvages, c’est-à-dire très inférieure, joue dans la famille et même dans la tribu un rôle considérable.