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qu’on passe journellement sous silence ceux qu’a recueillis le capitaine Sturt dans le voyage qui le conduisit sur les bords de la Murray, et qui remonté à 1831 ? Est-ce un peuple comme celui qu’ont peint Bory et ses continuateurs qui aurait construit des huttes permanentes pouvant loger de douze à quinze personnes, qui aurait inventé les canots d’écorce, qui aurait tissé des filets fort bien faits, les uns à mailles larges pour la chasse aux kanguroos, les autres à mailles étroites pour la pêche du poisson et ayant jusqu’à quatre-vingts pieds de long ? De ces faits on peut déjà conclure que les Australiens ont en réalité la plupart au moins des industries élémentaires qui se retrouvent chez toutes les autres tribus sauvages ; mais voici qui est plus significatif. Le docteur Cuningham, qui a fait à la Nouvelle-Galles du sud quatre voyages en qualité de chirurgien-surintendant des bâtimens destinés au transport des convicts et séjourné deux ans dans cette colonie, a étudié avec soin la population indigène. Il n’est rien moins qu’un de ses admirateurs ; cependant, selon lui, les Australiens sont vifs, enjoués, curieux et intelligens. On a constaté qu’ils apprennent à lire, à écrire presque aussi vite que les Européens, et tous parlent et comprennent très bien l’anglais. Ils saisissent très aisément les ridicules et apprécient au premier coup d’œil les différences sociales. Les Néo-Hollandais dont parle ici Cuningham sont ceux de Sidney et des environs ; mais il déclare à diverses reprises qu’il existe des populations très supérieures à celles qui entourent cette colonie. Prenons toutefois celles-ci pour terme de comparaison. Y a-t-il dans le portrait intellectuel que nous venons d’esquisser un seul trait qui autorise à en faire une espèce à part ?

On avait dit, on a répété que les Australiens sont incapables de s’élever au-dessus du niveau où les ont trouvés les premiers navigateurs. C’est encore là une assertion qui se trouve démentie par les faits. Quand on s’est occupé sérieusement de l’éducation des habitans de la Nouvelle-Hollande, ils ont promptement répondu à ces soins. C’est ce qui résulte des renseignemens fournis par Dawson, Cuningham, etc. Les individus qui, comme Daniel et Benilong, ont été conduits en Angleterre et introduits dans la société élégante sont devenus de vrais gentlemen, de l’aveu même des écrivains que nous combattons. Si, revenus en Australie, ils ont fini par retourner à la vie sauvage, qui donc pourrait s’en étonner en songeant à la position que le préjugé de la couleur fait à un nègre quelconque dans les colonies, surtout dans les colonies anglaises, à l’attraction irrésistible que le désert et son indépendance exercent sur les blancs mêmes qui en ont une fois goûté, et aussi à ces instincts héréditaires qui caractérisent si nettement certaines races ?