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d’une manière assez notable, tout ce qu’on avait dit des nègres ; mais on se trouvait en présence des renseignemens fournis par Levaillant et confirmés d’année en année par d’autres voyageurs, par les missionnaires. Pour être pasteur et nomade, pour se frotter le corps de graisse ou de beurre rance, un peuple ne pouvait pas être longtemps comparé à un singe quelconque. Enfin on s’adressa aux Australiens, et cette fois on traça le tableau de la dégradation la plus complète. Être déclarée absolument dépourvue de religion, de lois, d’arts, d’industries, être proclamée totalement incapable de s’élever d’une façon quelconque dans la civilisation, ce sont à coup sûr les plus doux reproches adressés à cette malheureuse population. Pour le physique, ce n’est plus à l’orang qu’on compare l’Australien, c’est au mandril[1]. Quant au moral, voici comment un auteur anglais résume tout ce qu’il en a dit : « En un mot, ils ont toutes les choses mauvaises que ne devrait jamais présenter l’humanité, et plusieurs dont rougiraient les singes, leurs congénères[2]. » On voit que la progression a été rapide. Lorsqu’on comparait le nègre d’Afrique à un singe, c’était du moins à un singe supérieur : on fait de l’Australien un singe inférieur et vicié[3]. Qu’y a-t-il de vrai dans ces sombres peintures ? Rien, si ce n’est que l’Australien est un des représentans les plus abaissés de l’humanité. A-t-il pour cela perdu l’empreinte du type humain ? Les caractères du règne, de l’espèce, ont-ils disparu ? Non. Pour lui comme pour le nègre et le Hottentot, des informations plus vraies ont fait justice d’assertions inexactes, basées tout au plus sur des observations incomplètes, sur des généralisations hasardées, parfois aussi sur de bien plus tristes motifs. Pour justifier nos dires, indiquons quelques traits de l’histoire de ce groupe d’après les renseignemens fournis par des hommes éminens qui ont séjourné en Australie, sondé les mystères de ce sol à peine connu, étudié réellement et comparé entre elles les diverses populations qui l’habitent.

Et d’abord l’Australien est-il aussi disgracié au physique que l’ont affirmé non pas seulement Bory Saint-Vincent et ceux qui l’ont répété, mais encore quelques voyageurs qui n’ont fait que toucher terre et ont jugé d’un continent entier par quelques points de relâche ? Mitchell et Pickering répondront pour nous. Le premier

  1. Bory Saint-Vincent l’Homme).
  2. Butler Earp The gold colonies, or Australie). Ce livre est une sorte de manuel des émigrans. On comprend sans peine les terribles conséquences que doivent avoir pour les indigènes de pareilles idées inculquées aux hommes qui vont chercher fortune en Australie.
  3. Le mandril appartient au genre des cynocéphales tête de chien), qui sont comptés parmi les représentans les plus inférieurs du groupe des singes.