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cent tiges ont pu parcourir toutes les phases de la végétation, et que le blé d’automne s’est trouvé changé en blé de printemps[1].

Du plus ou moins de rapidité dans le développement général dépend, chez les végétaux, l’époque de la floraison et de la fructification, c’est-à-dire l’époque de la reproduction. On sait combien nos races cultivées diffèrent sous ce rapport. Nos légumes, nos arbres fruitiers ; nos plantes et nos arbustes d’ornement comptent aujourd’hui une foule de variétés et de races, les unes précoces, les autres tardives, que l’art de nos jardiniers multiplie et règle presque à volonté au gré de nos besoins. L’énergie des fonctions de la reproduction peut encore varier à d’autres égards selon les races. La fertilité par exemple peut être remarquablement exagérée ou affaiblie. Parmi nos rosiers, il en est plusieurs qui fleurissent deux et trois fois pendant la belle saison ; le fraisier des Alpes donne des fruits presque toute l’année. En revanche, nous voyons les graines diminuer d’une manière remarquable dans quelques-unes de nos races de fruits les plus estimées. Le groseillier blanc, qui se reproduit par semis, a bien moins de pépins que le groseillier rouge. En persévérant dans cette voie et poussant les choses à l’extrême, l’homme a même fini par obtenir des fruits complètement dépourvus de graines. C’est ainsi qu’à force de reproduire le bananier par bouture, on a obtenu des bananes entièrement composées de la chair que l’homme recherche dans ce fruit. Des procédés analogues nous ont donné encore le raisin de Corinthe ou passoline, qui présente la même particularité. On comprend toutefois qu’il ne peut plus être ici question d’une race, puisque ces végétaux ont perdu précisément les moyens da se propager par génération. Arrivée à ce terme, là modification physiologique dont nous parlons n’enfante nécessairement plus que des variétés, que la greffe, la bouture, le marcottage, multiplient sans en changer la nature.

Il suffit de ces quelques exemples pour montrer que l’espèce végétale est variable dans ses propriétés physiologiques aussi bien que dans ses traits anatomiques, et pour rappeler que ces variations, devenues héréditaires, caractérisent autant de races. On va voir maintenant que l’espèce animale se modifie également sous ces deux rapports ; bien plus, on retrouvera dans l’animal chacun des faits spéciaux qu’on vient d’indiquer chez les plantes, tant il est vrai que d’un être organisé à l’autre, quelque grande que soit la distance, il existe toujours de profondes ressemblances. En outre

  1. Cette expérience et l’expérience réciproque, qui consiste à semer en automne des blés de printemps, ont été faites d’abord par le célèbre Tessier, et répétées avec plus de précision par M. Monnier voyez l’ouvrage de M. Godron sur l’espèce). Elles prouvent clairement que les blés d’automne et de printemps sont des races et non des espèces.