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pas la noblesse et n’y voie qu’une flatterie adressée au directoire, j’avoue que j’ai peine à le comprendre, ou plutôt je comprends trop que c’est elle qui flatte Alfieri ; je vois trop bien que, pour s’associer aux passions irritées de son amant, elle lui sacrifie la justice et l’amitié.

La comtesse d’Albany est plus intéressante quand elle essaie de guérir son malade en rassemblant autour de lui tout un cercle d’admirateurs et d’amis. Si elle n’avait pas encore ce qu’elle souhaitait depuis si longtemps et ce qu’elle possédera seulement dans la dernière période de sa vie, je veux dire une cour littéraire et mondaine, si d’un côté les graves préoccupations publiques et de l’autre la sauvagerie d’Alfieri ne lui permettaient pas de réaliser un de ses vœux les plus chers, elle avait su pourtant grouper autour du poète un certain nombre d’hommes d’élite, amis dévoués des lettres et des arts : c’était Lorenzo Pignotti, médecin, poète, historien, professeur à l’université de Pise, mais qui, passant la moitié de l’année à Florence, doit être cité au premier rang parmi les hôtes les plus assidus de la comtesse ; c’était le vieil Angelo-Maria Bandini, le docte conservateur de la bibliothèque Laurentienne, l’historien si érudit, si consciencieux, de la renaissance florentine au XVe siècle ; c’était Jean d’Alessandri, président de l’Académie des Arts ; Thomas Puccini, directeur des musées ; c’était Jean-Baptiste Baldelli, philologue et historien littéraire, tout jeune encore à cette date, mais annonçant déjà les rares qualités qu’il devait déployer plus tard dans sa Biographie de Boccace et dans son commentaire historique sur les voyages de Marco-Polo. Il faut signaler encore Onofrio Boni, architecte et antiquaire, auteur d’intéressantes études sur quelques artistes du XVIIIe siècle dont il avait été le disciple et l’ami. N’oublions pas enfin ce Jean Fantoni qu’on appelait l’Horace toscan, celui à qui Alfieri écrivait un jour : « Tous les amis de la vraie poésie voudraient voir vos odes gravées sur des tablettes d’or, » bien qu’il fût l’ami des Français et qu’il eût joué un rôle, non-seulement comme poète républicain, mais comme chef populaire, dans les troubles de l’Italie du nord. Quand Alfieri et la comtesse d’Albany, après le premier départ des Français (5 juillet 1799), eurent quitté leur villa solitaire et repris leurs habitudes à Florence, les hommes que je viens de nommer furent tous, à des degrés divers. les amis, les consolateurs du poète, quelques-uns même les confidens de sa pensée et parfois ses compagnons d’études. Parmi ceux. qui ne demeuraient pas à Florence, mais dont la sympathie active, entretenue avec soin par les lettres de la comtesse, ne manqua jamais à l’auteur de Saül et de Marie Stuart, deux graves personnages occupent la première place : Mgr Angelo Fabroni, recteur de