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VII

Échappés de Paris, Alfieri et la comtesse se dirigèrent vers la frontière du nord, La sœur de Mme d’Albany, établie en Belgique, y habitait un château dans le voisinage de la petite ville d’Ath, entre Mons et Tournay, non loin du lieu où Louise de Stolberg avait vu le jour ; ils y passèrent tout un mois, et l’effroi qu’ils avaient ressenti, la haine qu’ils avaient conçue pour la France dut s’aggraver encore, on le pense bien, lorsqu’ils apprirent que, deux jours après leur fuite précipitée, le lundi 20 août, cette même section qui leur avait donné leurs passe-ports s ! était présentée en armes à l’hôtel de la rue de Bourgogne pour arrêter la comtesse d’Albany, reine d’Angleterre, La comtesse n’étant plus là, on mit le séquestre sur ses revenus ; ces nobles chevaux anglais qu’Alfieri aimait tant, ces beaux livres grecs, latins, italiens, qu’il aimait plus ardemment encore et qu’il avait fait venir de Rome et de Florence à Paris, furent confisqués au nom du droit révolutionnaire : les deux fugitifs en effet venaient d’être inscrits sur la liste des émigrés. S’ils étaient restés à Paris deux jours de plus, enfermés sans jugement dans ces prisons où les innocens et les coupables étaient entassés pêle-mêle, eussent-ils pu échapper aux massacreurs de septembre ?

Certes, quand on se rappelle les incidens de cette histoire, on n’a pas le courage de condamner toutes les invectives du Misogallo. Que de choses vraies dans ces pages terribles, si l’auteur les eût appliquées seulement à une période hideuse et à une armée de scélérats ! Les plus violens sonnets, les plus injurieuses épigrammes du Misogallo furent écrits en Belgique, sous le coup des violences qu’il venait de subir, et pour ainsi dire au seuil de ces prisons où la comtesse d’Albany aurait pu rencontrer la princesse de Lamballe.

Après un mois de repos en Belgique, les deux amans reprennent la route d’Italie par les bords du Rhin, la Bavière et le Tyrol. Avec quelle joie ils franchissent les Alpes ! comme ils sont heureux de revoir le beau pays dove il si suona ! Il semble qu’une vie nouvelle va commencer pour Alfieri, et cependant, à maintes paroles amères, à certains cris désespérés qui s’échappent de ses lèvres, on voit qu’il traîne avec lui en tous lieux une blessure inguérissable. La première page qu’il écrit dès son retour à Florence au mois de novembre 1792, c’est une lettre au président de la populace française (al présidente della plèbe francese), pour lui redemander ses livres, ses papiers, tout ce que lui a confisqué la révolution, et il débute par ces mots qui peignent bien le fond de son âme : « Mon nom est "Victor Alfieri ; le lieu où je suis né, l’Italie ; ma patrie, nulle part. »