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Toutes ces personnes lui donnaient simplement le titre de comtesse d’Albany, mais les gens de service l’appelaient toujours majesté. Il existe dans le voisinage un couvent où la comtesse a l’habitude de se rendre les dimanches et à certains jours de fête ; les religieuses de ce couvent ne manquent jamais de la recevoir avec les honneurs dus aux souverains. » La reine légitime de la Grande-Bretagne ne voulait pas déroger en épousant, même de la main gauche, un simple gentilhomme piémontais, si grand poète qu’il pût être, et toutefois, fière de ce poète qu’elle avait inspiré, elle unissait son existence à la sienne, s’inquiétant peu de jeter un défi aux lois morales, et croyant réparer tout par l’enthousiasme de l’art. N’oubliez pas ces contradictions, ce mélange de passion et d’orgueil, ces troubles du cœur, combinés avec les vanités de l’esprit, n’oubliez pas surtout le douloureux aiguillon que lui laissa au fond de l’âme la mort de Charles-Edouard et de sa fille, si vous voulez deviner, sous la sérénité apparente de la comtesse, les inquiétudes de sa conscience et les égaremens de sa vie.

La comtesse d’Albany, reine d’Angleterre, demeure donc à Paris avec Alfieri son amant. Des affaires de famille, des intérêts d’argent à régler l’ont obligée à faire ce voyage ; Alfieri en profite pour faire imprimer ses œuvres chez Didot, et la comtesse, commençant à réaliser ses projets, ouvre ses brillans salons, où elle va présenter son poète à l’Europe. La veuve de Charles-Edouard en effet ne tarda pas à être en relation avec toute l’aristocratie de son temps. À côté des grands seigneurs de la cour, à côté des hauts dignitaires de l’état, tels que les Necker, les Montmorin, les Malesherbes, on voyait chez la comtesse d’Albany les représentans des puissances étrangères : c’était le nonce du pape, Mgr Dugnani, c’était le comte Mercy d’Argenteau, ambassadeur de l’empire d’Allemagne, le marquis de Cordoa, ambassadeur de Sardaigne, le comte de Salmour, chargé d’affaires de Saxe, le baron de Staël-Holstein, ministre de Suède, avec sa jeune femme, qui était déjà l’honneur des salons de Paris, et qui venait d’inaugurer sa gloire littéraire par ses Lettres sur Jean-Jacques.

Mme de Staël, dès les premiers jours, se lia d’amitié avec la comtesse, et lui resta fidèle jusqu’à la fin. La bibliothèque de Montpellier possède plusieurs lettres adressées par l’auteur de Corinne à sa chère souveraine, comme elle l’appelle, et qui sont datées presque toutes des dernières années de sa vie. Il y en a une surtout, relative au retour de l’île d’Elbe, qui mérite d’être citée. Ici, à la date oui nous sommes, c’est dans les œuvres mêmes de Mme de Staël qu’il faut chercher la trace de ses rapports avec Mme d’Albany. Ne pensait-elle pas à Alfieri, ou plutôt ne surprend-on pas un écho de