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année on ne prépare pas moins de 200,000 mètres cubes de charbon pour les usines. À chaque instant, lorsqu’on parcourt les montagnes, on rencontre les forestiers occupés aux travaux divers de la silviculture, et l’on aperçoit les fumées qui sortent lentement, par de petits soupiraux, des tas arrondis où, sous une couche de terre, s’opère la lente conversion du bois en charbon. Les pins (abies excelsa) recouvrent les quatre cinquièmes de la surface boisée du Harz. Ce n’est que sur les versans inférieurs que d’autres essences se mêlent aux arbres résineux. Les forêts de pin sont aménagées par révolutions de cent vingt années. L’administration des mines, après avoir pourvu à tous ses besoins, vend encore des planches et des bois de construction pour la somme de 150,000 fr. environ chaque année.

La division du travail dans le Harz comprend ainsi trois termes principaux : la métallurgie du plomb et de l’argent, la métallurgie du fer, et la silviculture. Cette division a été conservée dans l’organisation économique du district. Les mineurs et les usiniers qui retirent ou traitent les minerais d’argent, ceux qui sont occupés dans les mines de fer et les forges, enfin la population éparse des forestiers et des charbonniers, forment des familles ou corporations différentes. Chacune a ses coutumes, son organisation spéciale, et jusqu’à un costume distinct[1]. Cette petite société de travailleurs vit sous un régime économique qui s’est perpétué sans notable modification depuis le moyen âge. Le principe qui sert de base à ce régime est le patronage et l’autorité de l’état : mines, forêts, usines, le sol aussi bien que le sous-sol, tout appartient au souverain. Les filons métallifères sont, il est vrai, concédés à des compagnies d’actionnaires ; mais depuis un temps immémorial ils sont exploités par les employés de l’état. Chacune des mines du Harz est représentée par cent vingt-huit actions (kuxen) : dans ce nombre, celles qui appartiennent à des particuliers peuvent se subdiviser jusqu’à l’infini, puisqu’il y a des parts qui ne valent que les vingt-huit millièmes d’une action. Ces actions ou parts d’actions privées sont soumises aux chances de bénéfice et de perte ; cependant, sur les cent vingt-huit

  1. Ces costumes retracent, par mille détails symboliques, les incidens du travail habituel des mines, des usines ou des forêts ; les couleurs noire, blanche et verte y dominent. Je n’eus pas l’occasion de voir ces habits de gala dans le Harz ; mais un heureux hasard me conduisit peu de temps après en Saxe, à Freiberg, dans l’Erzgebirge, au moment de la visite du roi Jean et du grand-duc de Toscane. Je ne me souviens pas d’avoir rien vu d’aussi bizarre que les troupes de mineurs, d’usiniers et de forestiers réunies pour défiler devant leur souverain. Les têtes enveloppées de coiffes blanches et recouvertes de grands feutres noirs ou de cylindres verts avec des plumés, les culottes courtes avec genouillères, les habits serrés à la taille et ornés d’épaulettes de mineur, les petits tabliers en cuir, les instrumens variés portés par les diverses corporations, tout cela formait un ensemble des plus pittoresques.