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l’église sera un fait en même temps qu’un droit, au-delà duquel il n’y aura plus rien à chercher.

Le voilà donc trouvé, ce « principe » qui jusqu’alors avait manqué aux apologistes, et sur lequel tout reposera désormais. Et fort de cette découverte, voici Lamennais qui s’écrie à son tour avec le même enthousiasme que Joseph de Maistre : « Tout ce qu’il y a d’universel dans l’idolâtrie est vrai ; il n’y a de faux que ce qui est divers ; le symbole de l’humanité, aussi vieux qu’elle, ne diffère pas du symbole chrétien ; celui-ci n’en est que le développement. » Restait donc à dépouiller les traditions, à confronter les mythologies. Déjà, il est vrai, l’identité de certaines croyances contenues dans les cultes divers, la ressemblance de leur expression et de leur forme mythique, parfois même leur analogie avec le judaïsme, avaient été aperçues par des Juifs, tels que Josèphe et Philon ; plusieurs des anciens pères de l’église en avaient aussi tiré parti dans leurs premières controverses contre l’hellénisme ; ensuite, au XVIIe siècle, des érudits de premier ordre, Huet surtout, en avaient fait l’assemblage ; au XVIIIe encore, des documens avaient servi à échafauder quelques travaux historiques médiocres ; mais la pensée de ces savantes recherches n’avait rien de commun avec celle de Joseph de Maistre et de Lamennais. Les premiers en effet, bien loin d’enlever au judaïsme et au christianisme leur privilège exclusif sur la vérité religieuse, s’efforçaient au contraire d’y rapporter comme à sa source tout ce que les païens avaient conçu de beau et de vrai en matière de religion. Dans ce système d’origine juive, Pythagore, Platon, Aristote, les poètes, avaient lu les livres de Moïse, ou du moins avaient entendu quelques échos lointains de la loi révélée aux seuls enfans d’Abraham. Pour Joseph de Maistre et Lamennais, il n’en est plus ainsi. Tout ne vient plus des Hébreux, qui n’ont joui que de l’héritage commun de l’humanité. « Quand Dieu se choisit un peuple, dit Lamennais, il ne fonda point une religion nouvelle, car la religion est une ; elle se développe, mais elle ne change point. On ne dit point la religion juive, mais la loi de Moïse. Les Hébreux n’ont jamais eu de symbole particulier, ou plus étendu que celui des autres nations. Leur seul privilège était de mieux connaître le Messie futur et d’avoir une loi rituelle préservatrice de l’idolâtrie. » Selon cette vue nouvelle, la vérité n’a plus été transmise par un seul peuple choisi, comme on l’avait crû jusqu’alors : elle a circulé pour ainsi dire également dans toutes les veines de la race humaine ; c’est ce sang, quoique plus ou moins corrompu qui la faisait vivre ; il n’y avait plus, pour obtenir une vie plus parfaite, qu’à l’épurer ; cette épuration fut le christianisme. Tout part d’une révélation primitive, qui coule et descend à travers les âges par les canaux parallèles de toutes les