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plus. L’Hébreu prenait la figure pour la réalité ; il en avait le droit : chaque forme de la vérité est légitime en son temps ; de même que le voile s’est déchiré pour lui, il se déchirera pour nous. La loi ne sera pas abolie, mais accomplie, et le pas franchi du juif au chrétien n’aura pas été plus grand que ne sera celui du vieux chrétien au nouveau catholique. Voilà l’unique sens du onzième entretien ; le principe de l’exégèse la plus complète et la plus hardie y est posé. Et si maintenant il faut résumer toute la signification des Soirées de Saint-Pétersbourg, nous pouvons bien dire que les théories « plausibles » et les explications « rationnelles » essayées dans ce livre ne sont autre chose qu’une ingénieuse et quelquefois puissante tentative de Joseph de Maistre pour préparer cette « sage exégèse. »


II

Si Lamennais n’est pas, à proprement parler, un disciple de Joseph de Maistre, si surtout on ne trouve point chez lui ce mysticisme théosophique et cette curiosité si ardente à scruter les mystères, il est vrai cependant qu’à part sa polémique sophistique contre la raison individuelle, sa doctrine est au fond la même, et aboutit en définitive au même résultat, qui est d’extraire, du sein des formes religieuses diversement écloses chez tous les peuples, un catholicisme renouvelé. L’auteur des Soirées avait dit le premier que « les traditions antiques sont toutes vraies, que le paganisme entier n’est qu’un système de vérités qu’il suffit de remettre à leur place. » Il s’était le premier, après avoir exposé l’usage universel et le sens des sacrifices, écrié avec une sorte d’enthousiasme : « Quelle vérité ne se trouve pas dans le paganisme ? Il est bien vrai qu’il y a plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, tant dans le ciel que sur la terre, et que nous devons aspirer à l’amitié et à la faveur de ces dieux. Il est vrai qu’il n’y a qu’un seul Jupiter, qui est le dieu suprême, le dieu qui est le premier, qui est le très grand, la nature meilleure qui surpasse toutes les autres natures, même divines. Il est vrai encore que Jupiter ne saurait être adoré convenablement qu’avec Pallas et Junon, le culte de ces trois puissances étant de sa nature indivisible. Il est vrai que Platon ne saurait être corrigé qu’avec respect, quand il a dit que le grand roi étant au milieu des choses, et toutes choses ayant été faites par lui, etc. Il est vrai que Minerve est sortie du cerveau de Jupiter, que chaque homme a son génie conducteur et initiateur qui le guide à travers tous les mystères de la vie ; qu’Hercule ne peut monter sur l’Olympe et y épouser Hébé qu’après avoir consumé par le feu sur le mont OEta tout ce qu’il avait d’humain ; que les héros qui ont bien mérité de l’humanité, les fondateurs surtout et les législateurs,