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d’une nation, — C’étaient là les choses qui se trouvaient accomplies et qui apparaissaient le 7 septembre, le jour où Garibaldi entrait à Naples au milieu des drapeaux à la croix de Savoie, des écharpes tricolores, des cris, des chants et de toutes les exubérances d’une multitude méridionale. Ce n’était pas tout cependant d’avoir fait une si rapide conquête et de traîner à sa suite cette armée bizarre où Siciliens, Calabrais, Toscans, Romagnols, se mêlaient aux Hongrois, aux Polonais, aux Anglais, où l’on parlait toutes les langues, et qui allait un moment remplir Naples de ses costumes aux mille couleurs ou de ses haillons pittoresques. Là au contraire commençait la difficulté, non-seulement parce qu’avec cette armée d’aventure il y avait à marcher de nouveau contre une armée réduite à ses élémens les plus sérieux, enfermée dans les lignes stratégiques du Volturne et du Garigliano et appuyée sur la forteresse de Gaëte, mais encore parce que cette conquête, il y avait à l’organiser ; il y avait à mettre un peu d’ordre dans une situation qui était l’anarchie même, où tous les partis s’agitaient à la fois, les annexionistes, les demi-annexionistes, les partisans attristés d’une autonomie napolitaine sous le régime constitutionnel, les absolutistes qui attendaient l’heure de la confusion pour en profiter, Mazzini et tous ses sectaires accourus à la suite de la révolution. Les annexionistes purs demandaient l’union immédiate au Piémont, parce qu’ils y voyaient un élément d’ordre, la garantie la plus prompte et la plus efficace contre le retour de la dynastie fugitive. Ceux qui connaissaient le faible de Garibaldi l’entretenaient dans l’idée de ne prononcer l’annexion, pour Naples comme pour la Sicile, que quand on serait allé à Rome et à Venise. Mazzini soufflait partout son implacable passion, cachant sa pensée sous le voile d’un ajournement indéfini, de l’union au royaume du nord. La masse ne savait pas trop peut-être ce dont il s’agissait ; elle avait trouvé son héros, qui l’avait subjuguée par son énergique et débonnaire nature, et elle se passionnait pour Garibaldi, dont elle faisait son dieu après saint Janvier.

Malheureusement, si Garibaldi était l’homme de la marche aventureuse et de l’audace imperturbable, il était aussi l’homme le moins propre à se reconnaître et à trouver une direction politique dans ce moment décisif où il disposait de presque tout un royaume en décomposition. Le dictateur des Deux-Siciles, puisque c’était désormais son titre, passait sa vie à concilier ses instincts divers, modéré avec les modérés, révolutionnaire avec les révolutionnaires, nommant un ministère où entraient des hommes qui offraient de sérieuses garanties d’intelligence : M. Conforti, un des plus éloquens avocats de Naples ; M. Scialoia, un économiste qui s’était distingué à Turin ; appelant du nord de l’Italie, pour lui confier la pro-dictature,