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une régularité qu’un artiste a le droit de trouver déplaisante. Toutefois les perspectives y sont des plus variées : on respire l’air plus frais et plus léger des hauteurs, on s’enivre de cette odeur pénétrante et sauvage propre aux bois résineux ; enfin, sans analyser toutes ces sensations, on s’abandonne à ce charme tout particulier des montagnes, dont aucun langage ne saurait exprimer la saveur virginale et, si l’on osait le dire, l’énergique douceur. Je me mis par degrés en harmonie avec ces paysages nouveaux : je regardais les grandes masses de schiste qui composent le Harz, et dont les lignes parallèles apparaissent sans cesse rongées par les eaux, comme les feuillets d’un livre monumental. Chaque roche a son caractère pittoresque qui lui est propre : les gypses, les calcaires, les marbres, offrent des tons chauds resplendissans ; le schiste au contraire, qui se décompose en boue noire, a quelque chose de sombre et de monotone. Cette impression, que j’ai reçue dans l’Ardenne, dans certaines parties des Alpes, je l’éprouvai plus vivement encore dans le Harz.

En approchant de Clausthal, on remarque dans les anfractuosités des vallées des étangs retentis par des digues fort élevées : ce sont les réservoirs de l’eau destinée aux mines ; on l’économise et on l’emmagasine avec le plus grand soin : c’est la seule force qu’on puisse utiliser pour faire mouvoir les pompes d’épuisement et les machines d’extraction, ainsi que les appareils divers employés dans les ateliers métallurgiques. J’arrivai enfin à Zellerfeld, puis à Clausthal. La rue principale, qui n’est autre que la route elle-même, s’étend sur une très grande longueur ; elle est bordée de maisons propres, bâties en bois, et d’ordinaire à deux étages. Les fenêtres sont presque toujours décorées de quelques pots de fleurs, derrière lesquels on aperçoit la figure blonde et étonnée d’un enfant, souvent un mineur fumant tranquillement sa pipe et jetant sur la voiture qui passe un regard mélancolique. Une fois à Clausthal, je me trouvais sur le théâtre de mes recherches, et ce n’était plus l’aspect seulement du pays, c’étaient aussi les conditions d’existence des populations que j’allais étudier. Tout en explorant les richesses de ce district métallurgique du Harz, depuis longtemps célèbre, je m’étais promis d’observer, dans son action sur la vie sociale, le régime économique tout spécial qui s’y maintient depuis tant d’années.

La contrée sur laquelle ce curieux régime étend son action se di-. vise en deux parties, en deux zones si l’on veut : la zone occidentale nommée l'Ober-Harz ou Harz supérieur, qui comprend les hautes montagnes de la chaîne, — la zone orientale, l’Unter-Harz ou Harz inférieur, qui se rattache, par des plateaux de plus en plus abaissés,