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restait, pensant avoir gagné beaucoup quand il n’accordait à quelques-uns de ses ministres par lesquels il se croyait trahi que la moitié de ce qu’ils demandaient. Il se défiait du mouvement dont il avait sous les yeux le spectacle redoutable ; il avait certes raison, et cette défiance trop visible donnait des armes nouvelles contre une sincérité qui n’avait qu’un malheur, celui d’être tardive. Le jeune roi n’était relevé que par un sentiment de devoir assez fier et attristé qui l’animait sans lui inspirer des résolutions bien précises. « Si je n’étais pas roi, disait-il, si je n’étais pas responsable de ma couronne vis-à-vis de mon peuple, vis-à-vis de ma famille, il y a longtemps que François aurait déposé le triste fardeau qui pèse sur lui » C’était le moment où l’un des oncles du roi, le comte de Syracuse, ne trouvait rien de mieux à proposer à François II que d’abdiquer en faveur de Victor-Emmanuel, et un signe plus caractéristique encore, plus triste du temps, c’est que tous ceux qui avaient vécu de la royauté, qui l’avaient servie, trompée et perdue, s’en allaient fuyant ce pouvoir en détresse. Incohérence et entraînemens hostiles de l’opinion, abandon croissant autour du roi, sentiment universel d’une ruine imminente, attitude menaçante de Garibaldi, impossibilité de l’alliance avec le Piémont, c’était là ce qui annonçait une phase nouvelle dans le mouvement imprimé au midi de l’Italie, et ce qu’il y a de plus curieux, c’est que depuis un mois Garibaldi se préparait à envahir le royaume, depuis un mois il amassait ses forces au Phare, rassemblait des barques de transport, — et il put franchir le détroit sans être inquiété par la marine napolitaine !

Ce fut le 8 août 1860 que commença le passage et que les bandes campées en Sicile abordèrent les côtes de la Calabre, le major Missori en tête. En quelques jours, vingt-cinq mille hommes purent passer, retrouvant leur ardeur en reprenant leur élan. Un vaisseau de la flotte royale arrivait à temps dans le détroit pour lancer quelques boulets contre le dernier navire de l’expédition, qui venait de jeter ses hommes à terre, comme à Marsala. La lutte était désormais engagée sur le continent. Si l’égarement n’avait pas été dans les conseils napolitains, assurément une défense n’était pas impossible encore avec une armée nombreuse, raffermie par la présence du roi et conduite à la rencontre de cette étrange invasion ; mais il eût fallu une décision prompte et hardie, qui eût tout à la fois contraint le chef des volontaires à mesurer sa marche, intimidé les hostilités intérieures et rassuré à demi tous ceux qui auraient voulu s’attacher à ce dernier essai de régime constitutionnel avec la dynastie régnante. Rien de semblable n’existait à Naples, où la présence de Garibaldi sur le sol du royaume ne faisait qu’enflammer les passions et plonger le gouvernement dans toutes les incertitudes. On s’épuisait