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dis pas pour aller jusqu’au bout de son programme, mais du moins pour faire du chemin encore ? Il avait la force d’une résolution nette en face de l’incertitude universelle, il avait la foudroyante intensité d’un boulet de canon qui n’a pas atteint son but et qu’un obstacle n’a pas amorti ou détourné sur sa route.

Lorsque le plénipotentiaire du roi François II à Turin, M. Manna, connut la lettre écrite par Garibaldi à Victor-Emmanuel, il se hâta de demander à Naples qu’on opposât des manifestations publiques, des adresses des municipalités, la réunion prompte du parlement, à ce que disait le chef des volontaires de l’appel qui lui serait adressé par le royaume. On était occupé de bien autre chose à Naples : on désespérait en voyant le péril grandir, les chances d’un accord avec le Piémont s’évanouir, les impossibilités s’accumuler, et depuis un mois le ministère vivait dans la plus étrange incohérence entre les mouvemens désordonnés d’un premier instant de liberté et les tentatives réactionnaires. Le 15 juillet, des soldats de la garde royale et de l’infanterie de marine se réunissaient à la place du Carmine, et de là, le sabre au poing, se répandaient dans la ville, sur les quais, dans la rue de Tolède, se livrant à toute sorte d’excès soldatesques, forçant tout le monde à crier : « Vive le roi ! à bas la constitution ! » Des officiers de la flotte française qui étaient à terre furent eux-mêmes assaillis, sommés de se joindre à cette étrange manifestation, et je n’ai pas besoin de dire quelle fut leur réponse. D’un autre côté, les annexionistes, et ils étaient nombreux, ne se dissimulaient plus ; on appelait publiquement Garibaldi et Victor-Emmanuel. Les émigrés, qui commençaient à rentrer, ne faisaient que précipiter ce mouvement d’opinion. La difficulté pour le ministère était de vivre, de gouverner, de donner une apparence sérieuse à ce régime constitutionnel naissant ; il ne vécut pas, il ne gouverna pas ; il passa à travers des crises, il se renouvela un instant pa rle passage d’un des hommes populaires de la situation, de M. Liborio Romano, au ministère de l’intérieur, du général Pianelli au ministère de la guerre, et il agit dans le vide, avec des vues divergentes, un zèle mal employé, un dévouement qui était tiède chez les uns, impuissant chez les autres. Et lorsque les crises ministérielles se succédaient, on en venait à dire dans un journal nouveau, avec une hardiesse qui allait au fond des choses : « Pourquoi des crises de cabinet ? pourquoi des ministres nouveaux plutôt que ceux d’hier ? Des directeurs suffisent pour maintenir provisoirement le peu d’ordre qui existe et attendre le dénoûment du drame qui se joue. »

Le roi François II était singulièrement agité ; il voyait tout tourner contre lui, ses résistances et ses concessions. À demi dépouillé du pouvoir, il défendait pourtant encore à demi le peu qui lui en