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son élan, battait à Milazzo un des plus vaillans et des plus fidèles serviteurs de François II, le colonel Bosco, arrivait à Messine, s’emparant de la ville et ne laissant que la citadelle au pouvoir des troupes royales, si bien que, maître de la Sicile, il se trouvait dès lors face à face avec le continent napolitain.

Je ne dis pas qu’on ne fût sincère à Naples dans cette politique d’alliance italienne dont M. Manna et M. Winspeare portaient la pensée à Turin ; on l’était certainement, puisqu’on n’avait pas d’autre moyen de se sauver, et c’est d’un autre côté un amer reproche qu’on a fait au Piémont de n’avoir pas aidé le régime constitutionnel napolitain à vivre, de ne s’être pas prêté avec plus de zèle à une combinaison qui était une victoire pour sa politique, qui faisait entrer les affaires de l’Italie dans une voie où l’Europe alarmée et la péninsule elle-même, entraînée dans les aventures, pouvaient trouver le gage d’un avenir moins incertain. Le Piémont aurait pu dire cependant que cette alliance, à laquelle on se rattachait tardivement, comme à un expédient suprême dans une effroyable crise, il l’avait offerte en principe un an auparavant, lorsqu’elle pouvait raffermir à jamais la royauté napolitaine ; qu’il l’avait offerte encore au mois d’avril, presque dans les mêmes termes, avec les mêmes combinaisons ; qu’en la repoussant alors, on n’avait fait que susciter les dangers dont on avait à se défendre, et que ce qu’on lui offrait en ce moment, c’était de s’affaiblir lui-même sans fortifier peut-être le nouveau régime napolitain, de faire violence à l’opinion, qui suivait avec une émotion visible et ardente l’entreprise de Garibaldi, de s’engager sans sécurité avec une politique dont il avait éprouvé les tergiversations et les doutes, et qui pouvait n’être encore qu’une politique de circonstance tant qu’elle ne s’appuyait pas sur un parlement national. Le Piémont ne repoussait pas les propositions napolitaines : il avait trop à compter avec les conseils de l’Europe, de la Russie, de l’Angleterre, de la France surtout, qui tenait à sauver Naples de cette crise ; mais il attendait et il faisait attendre à son tour, prenant le facile prétexte de ne rien précipiter avant la réunion du parlement napolitain, qui ferait connaître l’opinion du pays.

Le mot du problème, à vrai dire, n’était en ce moment ni à Naples ni à Turin ; il était en Sicile avec Garibaldi, l’indomptable chef du mouvement, une tête qui n’était pas facile à conduire. Là en effet, au sein même de cette victoire merveilleuse, s’agitait une lutte singulière, ardente, qui naissait de la profondeur du mouvement italien, qui s’était fait jour au départ de l’expédition de Sicile, et qui prenait une intensité nouvelle en partageant et en passionnant tous les esprits en Italie : c’était la lutte entre ce qu’on pourrait appeler l’idée politique, l’idée modératrice, et le parti exalté de l’action,