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que les Marches, quand tout ce que l’Europe a prodigué de conseils est épuisé, quand l’insurrection sicilienne semble un signe d’intelligence allant tenter l’esprit d’unité, qu’un homme se lève du sein d’une petite île de la Méditerranée : Garibaldi apparaît comme le messager des colères italiennes contre le régime dominant dans les Deux-Siciles. Chef étrange par l’indépendance de sa vie et de son caractère, façonné à toutes les formes de l’action sur terre et sur mer, patriote de cœur fougueux, de tête faible et de mœurs simples, très brouillé avec la diplomatie et popularisé par un dévouement passionné à la cause italienne, couvert d’ailleurs du lustre récent de sa campagne d’audacieux partisan en Lombardie, Garibaldi était l’homme le mieux placé pour se jeter en avant, ou, pour mieux dire, seul il pouvait entreprendre cette expédition dans le midi de l’Italie, parce que seul il pouvait entraîner à sa suite un nombre suffisant de volontaires enflammés de son feu, animés de son esprit. Et, le dirai-je ? seul il pouvait jeter ce défi à la diplomatie embarrassée de l’Europe, tenter cette diversion, sans attirer sur lui un orage de répression instantanée, parce que dans l’extrémité même de son audace et de son indépendance, par son attachement aussi singulier que sincère au roi Victor-Emmanuel, il représente l’unité italienne dans ce qu’elle a de moins incompatible avec l’ordre général, avec la monarchie. Dans la nuit du 5 miai 1860, Garibaldi, sorti depuis peu de son île de Caprera, s’embarquait à Quarto, près de Gènes, avec quelques-uns de ses compagnons de guerre, Bixio, un Génois fougueux et prêt à toutes les entreprises ; Sirtori, un Lombard du siège de Venise en 1848 ; un Sicilien, La Masa ; Turr, un Hongrois brillant, et enfin un millier d’hommes rassemblés à la hâte. On avait mis la main par surprise sur deux bateaux à vapeur d’une compagnie particulière. Il y avait parmi ces hommes des Brescians, des Bergamasques, des Milanais, cent soixante-dix-neuf étudians de l’université de Pavie, des Toscans, des émigrés napolitains et siciliens, beaucoup d’aventuriers sans doute, mais aussi des jeunes hommes des plus hautes familles de l’Italie, tous formant une armée bariolée, aux types divers, à l’uniforme populaire et bizarre, aux allures pittoresquement martiales, n’ayant d’autre lien de discipline que le fanatisme pour son chef, emportant sur son drapeau ces simples mots : « Italie et Victor-Emmanuel ! » Où allaient-ils ainsi ? On ne le savait encore. L’Europe avait les yeux fixés sur la Méditerranée, lorsque peu après, le 11 mai, la petite expédition partie de Quarto, se frayant un passage à travers les croisières napolitaines, allait débarquer dans un petit port de la côte de Sicile, à Marsala. Les forces navales du roi de Naples arrivèrent tout juste à temps pour assister au débarquement et pour capturer un des bâtimens de