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en effet le caractère du dernier régime napolitain : la police était tout. Elle avait pris tellement racine dans le pays, elle enlaçait si bien toutes les institutions, elle pénétrait si profondément dans toutes les habitudes de la vie civile, qu’elle était devenue une puissance égale à l’inquisition d’autrefois, gouvernant et dominant la royauté elle-même. Elle avait mis quarante ans pour arriver à cette omnipotence qui a toujours attiré et dérouté tous les observateurs ; elle avait sa charte, — la seule qui ait été vraie à Naples, — dans un règlement du 22 janvier 1817, et en apparence par ce règlement elle n’était que l’auxiliaire de la justice et des lois ; en réalité, elle était tout, elle disposait souverainement de la liberté et des intérêts d’un peuple de neuf millions d’hommes, Sans doute la loi voulait que nul prévenu ne pût être gardé plus de vingt-quatre heures sans être remis aux tribunaux ; mais, par une exception devenue bientôt une règle, la police était autorisée à retenir toute personne arrêtée jusqu’à ce qu’elle eût procédé à une instruction complète, et dans tous les cas à ne remettre un prévenu aux tribunaux, fût-ce pour une irrégularité de passe-port, que sur un ordre du directeur de la police, qui lui-même ne relevait que du roi. Pour évincer les tribunaux, une décision souveraine pouvait prononcer une libération sans jugement, de telle sorte que, libre dans ses allures, la police pouvait procéder à l’aise contre tout le monde, annulant les juridictions légales, inviolable comme le roi, avec qui elle partageait la souveraineté et de qui elle se couvrait, fort indulgente souvent avec les bandits et les meurtriers ordinaires, mais inflexible et bravant tout dès que la politique était en jeu, et jetant pêle-mêle avec des forçats les hommes les plus honnêtes, parieraient commis d’autre crime que d’être de la secte, comme on disait, en d’autres termes d’être libéraux.

Notez bien ceci, qu’au moment de la mort du roi Ferdinand II il y avait dans le royaume, sous le nom d'attendibili, cent quatre-vingt mille suspects inscrits sur les registres de la police, exclus de la vie civile et des professions libérales, internés dans leurs provinces, ne pouvant se mouvoir sans une autorisation spéciale et toujours soumis à une rigoureuse surveillance. Il y avait dans les prisons de Naples une multitude de personnes retenues depuis plusieurs années sans jugemens, sans apparence d’instruction, quelques-unes sur le simple soupçon d’avoir connu le régicide Agesilas Milano soit dans son village, soit à son régiment. Quarante captifs attendaient depuis trois ans à Santa-Maria-Apparente qu’on voulût bien leur dire de quoi ils étaient accusés. C’est ainsi que s’est formée cette situation indéfinissable où un système outré créait non la sécurité assurément, mais le silence et la crainte, et sous le voile de