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et chimiste consultatif de la société royale d’agriculture. On y voit très bien dans quelles conditions et sous quelle forme l’application de l’engrais liquide peut être profitable et dans quels cas au contraire il convient de s’en abstenir. À cette question se rattache celle des égouts des villes ; celle-ci s’est réveillée assez vivement à propos d’une lettre du savant Liebig, qui frappait peut-être un peu trop fort pour frapper tout à fait juste, mais qui a eu le mérite d’appeler de nouveau l’attention sur le problème fondamental de l’agriculture. M. Mechi, à qui cette lettre était adressée, est entré lui-même en lice avec son entrain ordinaire, et il demeure bien démontré, ce qui n’a été du reste sérieusement nié par personne, qu’en laissant échapper dans les fleuves les égouts des villes, on perd une immense richesse agricole. La véritable difficulté est dans les moyens de recueillir et de répandre économiquement cet engrais précieux. Quant à sa puissance, dès qu’il est bien employé, il suffit de citer les paroles suivantes de M. Mechi : « L’exemple des prairies d’Edimbourg, qui reçoivent annuellement 15,000 tonnes des égouts de la ville à l’hectare, prouve que le même sol peut recevoir et retenir tous les ans une énorme quantité d’engrais. La location de ces prairies s’est élevée au printemps dernier à 1,687 fr. l’hectare en moyenne ; quelques-unes des meilleures se sont louées jusqu’à 2,750 fr. » Nous avons nous-mêmes aux portes de Paris, dans les prairies de la ferme de Vincennes, un exemple moins frappant sans doute, mais tout aussi décisif.

Tout le monde connaît la grande plaine, près de Saint-Maur, qui a servi de camp à l’armée d’Italie à son retour de Solferino. Tout y était nu et aride dans l’été de 1859 ; tout y était couvert, en 1860, d’une puissante végétation. Quel est l’enchanteur qui a créé en un an 200 hectares de prairies sur un sol si ingrat ? L’engrais liquide. Les déjections de la garnison qui habite les forts de Vincennes, employées à des arrosages par les soins d’un ancien élève de l’institut national agronomique, M. Tisserant, aujourd’hui directeur de la ferme impériale, ont fait tout le miracle. Les prairies en ont reçu en une seule année 35 mètres cubes par hectare, et les terres arables environ le double ; on a même arrosé une parcelle à raison de 60 mètres cubes par hectare, et la nature sablonneuse du sol a permis l’application de ces fortes doses d’engrais, sans qu’il en soit résulté, jusqu’ici du moins, aucun inconvénient. Il n’en a pas été tout à fait de même dans les terres argileuses de la ferme de Vaujours, où la plupart des récoltes ont versé par l’emploi des mêmes engrais, ce qui confirme les idées émises par M. Voelcker en Angleterre. Ces deux expériences, si intéressantes à tant de titres, vont se continuer sous nos yeux, et nous ne tarderons pas à savoir ce qu’il en faut penser. Ajoutons que le lait des vaches nourries avec ces fourrages ne contracte aucun mauvais goût.

À propos des concours agricoles de 1860, soit en France, soit en Angleterre, M. de La Tréhonnais fait connaître, une fâcheuse querelle récemment soulevée entre les fabricans d’instrumens aratoires anglais et la société royale. On se plaint que les jurys chargés de distribuer les prix jugent trop vite et se trompent souvent. Cette réclamation doit être fondée, car les meilleurs juges ne sont pas infaillibles ; mais comment y répondre ? On aura beau changer les personnes, on retombera toujours sur des hommes sujets