nous regardons comme imposé, point à l’empereur, mais à nous-mêmes, par notre propre dignité. »
« La dépêche se termine par la déclaration que les dispositions du cabinet de Saint-Pétersbourg, quant aux relations et aux affaires des deux pays, demeureront également bienveillantes. J’ai tenu à M. de Kisselef le même langage. Le gouvernement du roi a déjà prouvé qu’il savait tenir sa politique en dehors, je pourrais dire au-dessus de toute impression purement personnelle. Il continuera d’agir, en toute circonstance, avec la même modération et la même impartialité. Il ne voit, en général, dans les intérêts respectifs de la France et de la Russie que des motifs de bonne intelligence entre les deux pays, et si, depuis douze ans, leurs rapports n’ont pas toujours présenté ce caractère, c’est que les relations des deux souverains et des deux cours n’étaient pas en complète harmonie avec ce fait essentiel. La régularité de ces relations, et M. le comte de Nesselrode peut se rappeler que nous l’avons souvent fait pressentir, est donc elle-même une question grave et qui importe à la politique des deux états. Le gouvernement du roi a accepté l’occasion, qui lui a été offerte, de s’en expliquer avec une sérieuse franchise, et dans l’intérêt de l’ordre monarchique européen comme pour sa propre dignité, il maintiendra ce qu’il regarde comme le droit et la haute convenance des trônes. »
Ainsi se termina cette correspondance. Les deux ambassadeurs ne retournèrent point à leurs postes ; des chargés d’affaires continuèrent seuls de résider à Paris et à Saint-Pétersbourg. À en juger par les apparences, la situation respective des deux souverains restait la même ; au fond, elle était fort changée : l’empereur Nicolas s’était montré embarrassé dans son obstination, et le roi Louis-Philippe ferme dans sa modération. Au lieu de subir en silence une attitude inconvenante, nous en avions hautement témoigné notre sentiment, et nous avions déterminé nous-mêmes la forme et la mesure des relations entre les deux souverains. La dignité était gardée sans que la politique fût compromise. C’était là le but que j’avais saisi l’occasion de poursuivre. Dans les deux dernières années de mon ministère, en 1846 et 1847, quelques indicés me donnèrent lieu de croire que l’empereur Nicolas, tout en y persistant, regrettait de plus en plus son attitude, et pensait presque tout haut qu’en lui succédant, son fils en devrait changer. Dans la situation où le gouvernement du roi s’était placé, il pouvait très convenablement attendre.
GUIZOT.