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à Constantinople pour remédier au désordre des finances turques. Le tonneau des Danaïdes était très bien fait et très bien cerclé, j’en suis sûr ; malheureusement le fond manquait. On pourra faire aussi de très beaux règlemens pour les finances turques ; malheureusement le fond manque, c’est-à-dire l’honnêteté, ce qui empêche la caisse de se vider à mesure qu’elle s’emplit.

Une fois bien convaincu qu’en étudiant l’état des finances turques, je ne faisais que continuer mes recherches sur l’état moral et politique de cet empire, j’ai oublié mon incompétence financière, et je me suis mis à analyser les documens et les correspondances qui m’étaient envoyés d’Orient, en les rapprochant de quelques livres récens, et particulièrement du très curieux ouvrage de M. Senior, un voyageur anglais qui a visité la Turquie en 1857, et qui ne croit pas, comme lord Palmerston, que la Turquie soit l’état qui ait fait depuis quelques années le plus de progrès dans les voies de la civilisation. M. Senior ne craint pas de dire à ses compatriotes la vérité sur la Turquie, et j’ai eu, en le lisant, le grand et très vif plaisir de trouver enfin un Anglais qui ne met pas son patriotisme à être Turc.

Je lisais par exemple dans l’ouvrage de M. Senior ces détails curieux sur l’état des finances turques : « On suppose que le revenu de l’état est d’à peu près 9 millions de livres sterling (225 millions de francs). De cette somme, le sultan prend ce qui lui plaît, environ 2,500,000 livres sterling (62,500,000 francs), d’après l’hypothèse généralement admise, et cependant il n’a pas de quoi payer là-dessus ses dépenses ; il a contracté une dette d’environ 800 millions de piastres, ou 7,200,000 livres sterling (180 millions de francs), pour lesquels il a donné des engagemens écrits, quelques-uns portant intérêt, d’autres sans intérêt, quelques-uns avec un jour fixe de paiement, d’autres sans date. On croit aussi que le trésor peut devoir aux fournisseurs du gouvernement, comme aux autres personnes avec lesquelles il a des marchés, à peu près 3,600,000 liv. sterl. (90 millions). Les dettes flottantes de l’état et celles du sultan, y compris la dépense du rachat et du remboursement du papier-monnaie et des monnaies défectueuses, sont donc de 14,940,000 livres sterling (373,500,000 fr.), ainsi décomposées : papier et monnaies défectueuses, 4,140,000 livres sterling (103,500,000 francs) ; dettes du sultan, 7,200,000 livres sterling (180 millions de francs) ; dettes flottantes du gouvernement, 3,600,000 livres sterling (90 millions de francs) ; mais vu l’état présent, la dépréciation du papier-monnaie et l’incertitude où l’on est de la valeur réelle de la dette flottante, ce total de 14,940,000 livres sterling pourrait bien se racheter avec 10 millions de livres sterling. »

M. Senior ajoute en note : « Le sultan, comme tout débiteur embarrassé,