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pour repousser ses ouvertures particulières ; en vain il s’était appliqué à relever maintes fois, avec beaucoup d’à-propos, d’habileté et de chaleur, ce qu’avaient d’excessif et de violent les procédés de ses adversaires[1] ; en vain il essaya, en termes nobles et touchans, de faire un dernier appel à l’esprit de conciliation : tout fut inutile, L’impossibilité de concilier les volontés absolues de Napoléon avec les exigences impérieuses des coalisés était manifeste, et la rupture inévitable. Les délais fixés étant tous expirés, les conférences de Châtillon, à la grande joie des ennemis déclarés de Napoléon, furent rompues définitivement le 19 mars 1814.


À considérer, après tant d’années écoulées, les incidens diplomatiques que nous venons de retracer avec la plus scrupuleuse exactitude, on ne peut se défendre d’un sentiment de tristesse. Certes il serait puéril d’imaginer qu’après avoir, dans toutes ses précédentes négociations, bravé à plaisir et constamment humilié tous les cabinets de l’Europe, Il dépendait maintenant de Napoléon de les arrêter au plus fort de leur récent succès, et de faire tout à coup surgir, comme par miracle, des conférences de Châtillon, une ère inattendue de pacification générale et de concorde définitive. Cependant, quoique difficile, si une transaction honorable n’était pas tout à fait impossible, si elle était évidemment conforme aux intérêts des peuples, et surtout de notre pays, si, un instant consentie par désespoir plus que par sagesse, elle a été ensuite repoussée dans un mouvement d’orgueil extravagant, né d’un retour passager de la fortune, c’est le droit de la conscience publique de blâmer sévèrement celui qui n’a pas craint de jouer, ainsi, au gré de ses coupables passions, la vie de plusieurs milliers d’hommes, le repos du monde et sa propre destinée. Pour l’honneur d’une aussi grande renommée, on aimerait du moins à penser qu’après avoir hautement proclamé sa fière résolution, Napoléon l’a jusqu’au bout intrépidement soutenue. Peut-être alors la froide raison serait-elle mal venue à protester, et l’imagination serait-elle fortement saisie par la noblesse d’un si beau rôle. Napoléon parut d’abord vouloir s’en emparer : il affecta de recevoir assez mal son ministre des affaires étrangères quand celui-ci vint le rejoindre après la rupture des conférences : il affecta de parler avec dédain de ce qui s’était

  1. Les minutes des séances du congrès, rédigées par sir Charles Stewart, démontrent parfaitement que le rôle du plénipotentiaire français ne s’est pas borné à Châtillon à répondre par oui et par non aux propositions faites par ses collègues. La plupart du temps les discussions furent au contraire très vives au sein de la conférence, et M. de Caulaincourt, respecté de tout le monde, fut toujours admis à défendre ses opinions avec une entière liberté.