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recevant cette autorisation inattendue. « J’étais parti les mains liées, écrit-il à l’empereur, et je reçois des pouvoirs illimités. On me retenait, et l’on m’aiguillonne. Cependant on me laisse ignorer les motifs de ce changement… Ignorant la vraie situation des choses, je ne peux juger ce qu’elle exige et ce qu’elle permet, : si elle est telle que je doive consentir à tout aveuglément, sans discussion et sans retard, ou si j’ai pour discuter du moins les points les plus essentiels plusieurs jours devant moi, si je n’en ai qu’un seul, ou si je n’ai pas même un moment[1]… »

Attentif, depuis l’ouverture du congrès, à défendre pied à pied son terrain avec une fermeté digne des plus grands éloges, le duc de Vicence ne voulut pas user tout d’abord des pleins pouvoirs qui lui avaient été si soudainement conférés. Il préféra prudemment s’adresser le 9 février, par lettre particulière, au prince de Metternich, pour s’informer si, au cas où elle consentirait à rentrer, dans ses anciennes limites, la France obtiendrait immédiatement un armistice. Les plénipotentiaires étrangers ne se trompèrent pas un instant sur le sens de cette demande. La nouvelle que l’empereur Napoléon, consentant à tout, voulait décidément faire la paix était arrivée au quartier-général des armées alliées. Les funestes espérances des partisans de la guerre à outrance étaient déjouées. Alors se produisit quelque chose de véritablement étrange. Les ministres des cours coalisées signifièrent par écrit au duc de Vicence « que, l’empereur de Russie ayant jugé à propos de se concerter avec ses alliés sur l’objet des conférences de Châtillon, ces conférences allaient en effet être suspendues, et qu’on préviendrait le plénipotentiaire français du moment où elles pourraient être reprises. » Il était difficile de couvrir un procédé plus déloyal d’un prétexte moins sérieux ; mais il était sans doute écrit que, pendant la durée de cette courte négociation, chaque parti tour à tour trouverait, comme à plaisir, le moyen de mettre tous les torts de son côté.

À peine l’empereur des Français, ramené un instant par sa mauvaise fortune vers des sentimens plus modérés, laissait-il ainsi voir l’intention de rendre à l’Europe la paix dont elle avait si grand besoin, qu’animé d’une ardeur insensée de vengeance, un autre despote, l’empereur de Russie, s’efforçait de prolonger les horreurs de la guerre. L’issue de ces mêmes combats de La Rothière et de Brienne, qui avait fait la sagesse de Napoléon, causait maintenant la folie d’Alexandre. Il ne pouvait prendre sur lui de renoncer à l’envie immodérée de précipiter lui-même son ennemi du trône, et de le voir, d’un commun accord, rayé de la liste des souverains. Les

  1. Lettre du duc de Vicence à l’empereur Napoléon, 6 février 1814.