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allemande. L’Angleterre avait désigné trois plénipotentiaires, sir Charles Stewart, lord Cathcart et lord Aberdeen ; seul parmi eux, lord Aberdeen se recommandait à nous par sa haute raison et son équitable modération.

À la troisième séance du congrès, le 7 février, les plénipotentiaires alliés firent enfin connaître les conditions qu’ils étaient chargés d’offrir : la France devait rentrer sur le continent européen dans les limites qu’elle avait avant la révolution ; sur mer, une partie seulement de ses anciennes colonies lui serait rendue, l’Angleterre ayant déclaré, dès la seconde conférence, qu’elle n’entendait pas laisser mettre en discussion ce qu’elle appelait les questions de droit maritime[1].

Ces conditions étaient dures ; au point de vue de l’équilibre européen, elles étaient même injustes. Au moment où elles voulaient toutes s’étendre bien au-delà de leurs limites d’avant 1799, il n’était pas permis aux puissances étrangères de prétendre nous renfermer, nous seuls, dans notre ancien état de possession. La France avait le droit de se plaindre d’un pareil procédé ; malheureusement le chef par lequel elle était alors représentée n’était pas aussi bien venu à partager son ressentiment, lui qui à Austerlitz, à Iéna, à Friedland, avait dicté aux vieilles monarchies vaincues des conditions bien autrement rigoureuses, levé sur leurs provinces conquises de si lourdes contributions de guerre, et qui, il y avait un an à peine, proposait à l’Autriche de rejeter la Prusse au-delà de l’Oder et de lui ôter jusqu’à Berlin, sa capitale[2]. Ces terribles exigences,

  1. Protocoles des conférences de Châtillon. — Dans l’énumération générale et sommaire que font la plupart des historiens, et parmi eux MM. Thiers et de Viel-Castel, des propositions faites à Châtillon par les cours alliées, on voit figurer d’autres conditions plus rigoureuses. Entre leur version et la nôtre, il n’y a cependant, comme on s’en apercevra bientôt, aucune contradiction. Ces conditions plus rigoureuses, pour mieux dire ces commentaires plus rigoureux et véritablement excessifs des conditions d’abord établies, furent successivement mis en avant à mesure que se développaient les événemens de la guerre, et que grandissait au sein du congrès l’influence belliqueuse de l’empereur Alexandre. Pour garder aux faits leur véritable physionomie, nous sommes tenu, dans ce récit circonstancié, qui embrasse les différentes phases des conférences de Châtillon, à ne signaler ces exigences nouvelles des alliés qu’au moment même où elles se produisent. Les protocoles des conférences de Châtillon sont très succincts ; ils apprennent peu de chose. Sir Charles Stewart, l’un des plénipotentiaires anglais, a rédigé en forme de journal les minutes de chacune des séances. On les trouve imprimées à la suite de la correspondance de lord Castlereagh. Quoique l’auteur puisse à bon droit être tenu pour suspect, ces minutes paraissent fort exactes. Qu’il l’ait voulu ou non, c’est, pour la raison, la droiture et la modération, M. le duc de Vicence qui d’ordinaire a de beaucoup le plus beau rôle.
  2. « On rejetterait la Prusse au-delà de l’Oder ; on lui laisserait la vieille Prusse ; on y ajouterait la principale partie du duché de Varsovie, et on ferait une espèce de Pologne moitié allemande, moitié polonaise, ayant pour capitales Kœnigsberg et Varsovie. » Propositions faites par l’empereur Napoléon à l’Autriche, mars 1813. M. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XV, p. 358.)