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traité[1]. » Lord Castlereagh, à peine arrivé, constatait lui-même avec inquiétude cette ardeur belliqueuse du tsar : « Notre plus grand danger, mandait-il à lord Liverpool, provient maintenant de l’impulsion chevaleresque que l’empereur Alexandre est enclin à donner à la guerre. Il est poussé vers Paris par un sentiment personnel distinct de toute considération politique et militaire… L’idée qu’une négociation rapide pourrait tromper cette espérance le rend encore plus impatient[2]. »

Ainsi éclatait de toutes parts l’envie démesurée de ne pas plus tenir compte de la mémorable négociation de Francfort que si elle n’avait jamais eu lieu. Le duc de Vicence attendait cependant depuis plusieurs semaines aux avant-postes, ne recevant aucun message, et les impatiens du parti russe ne cachaient pas leur espérance de le voir congédier sans réponse. Lord Castlereagh s’éleva avec fermeté et bon sens contre un tel procédé. « Après avoir publiquement offert à Napoléon de négocier, refuser maintenant d’envoyer des plénipotentiaires non-seulement à Manheim, mais à Châtillon, lieu indiqué par les alliés, lui semblait placer l’Europe dans un état d’inconséquence vraiment embarrassant… Bien qu’il regardât comme difficile d’avoir avec Napoléon une paix stable, il fallait essayer de traiter avec lui… En fait de dynastie, l’Angleterre n’avait aucun parti pris… Elle s’appliquerait donc de très bonne foi à conclure la paix, mais si Napoléon refusait ce qu’on lui offrait, il faudrait bien en finir avec lui[3]. »

Ces considérations qui déplaisaient à l’empereur de Russie, mais qu’il n’osa pas toutefois combattre ouvertement, déterminèrent la conduite des cours alliées : elles convinrent de donner à leurs plénipotentiaires des instructions identiques. Malheureusement le choix même de ces plénipotentiaires donnait à craindre que l’esprit de conciliation ne remportât pas dans le prochain congrès. Le duc de Vicence avait espéré traiter avec les chefs des cabinets étrangers ; cette satisfaction lui fut refusée. Lord Castlereagh, qui vint passer quelques jours à Châtillon, ne le vit point. Au lieu de M. de Metternich, avec lequel notre ministre n’avait jamais cessé d’entretenir des relations personnelles amicales, c’était le comte de Stadion, l’instigateur de la guerre de 1809, qui représentait l’Autriche. L’ambassadeur de Russie à Vienne, le prince Rasumosky, connu par la haine qu’il affichait contre Napoléon, remplaçait le sage comte de Nesselrode. La Prusse avait chargé de ses intérêts le baron de Humboldt, animé contre la France de tous les ressentimens de sa patrie

  1. Dépêche de sir Charles Stewart du 27 janvier 1814.
  2. Dépêche de lord Castlereagh à lord Liverpool du 30 janvier 1814.
  3. M. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XVII, p. 238-239.