Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/447

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mêmes, mais qui, sachant mettre à l’occasion telle partie de leur sujet en lumière et telle autre dans l’ombre, arrivent d’autant plus sûrement à suggérer ainsi au lecteur, d’une façon insensible, leurs propres préférences. Nous avons déjà plusieurs histoires de la restaurations aucune n’est absolument mensongère ; elles sont toutes volontairement incomplètes, et cela suffit à les rendre fausses, Bien différens sont les procédés de M. de Viel-Castel : il prend grand soin de ne jamais rien omettre d’important ; loin de dissimuler les fautes commises par les différens partis, il se fait un devoir de les exposer toutes dans de strictes proportions, et jamais il ne manque de les relever avec la parfaite équité d’un censeur irréprochable. Les vaines théories le laissent assez froid ; s’il penche vers les doctrines constitutionnelles, c’est qu’il les juge plus propres à faire prévaloir ce qui lui tient uniquement à cœur, — la raison, la justice et la modération. Sans doute les idées qui lui sont chères lui semblent, à certains momens, s’identifier plus particulièrement avec telle cause ou telles personnes ; mais ne craignez rien, ce n’est pas un ami complaisant. Peut-être même faut-il reconnaître qu’il se montré surtout sévère pour les opinions qu’il préfère et pour les gens qu’il aime le mieux. Si nous avions un reproche à lui adresser, ce serait de ne pas toujours prendre en suffisante considération les inextricables embarras de ces terribles situations où les mieux intentionnés et les plus sages n’ont souvent le choix qu’entre les moins fâcheuses résolutions. À vouloir systématiquement absoudre les mauvaises conduites par les motifs tirés de l’entraînement des temps, on risque à coup sûr de sacrifier la morale tout entière… N’est-on pas aussi tout près d’être injuste quand on oublie de tenir compte de l’influence des passions régnantes ? Mais quoi d’étonnant si M. de Viel-Castel, qui, pour son compte, ne les a jamais ressenties, répugne à leur faire, chez les autres, la part inévitable ? Sa conscience d’historien ne se lasse pas d’entrevoir un certain idéal de rectitude parfaite qu’en toutes choses il est noble de poursuivre, mais qu’en politique il n’est guère donné d’atteindre. De cela même le public lui saura gré, car le public n’admet pas volontiers, en faveur du passé, les circonstances atténuantes, et d’ordinaire il est d’autant plus rigoureux dans ses appréciations rétrospectives qu’il se sent, pour le moment, de composition plus facile et d’humeur plus accommodante.

Le récit de M. de Viel-Castel s’ouvre avec la campagne de France en 1814, et ses deux premiers volumes nous conduisent jusqu’au lendemain du retour de l’île d’Elbe. Dans cette période douloureuse de notre histoire, où se sont accumulés tant d’événemens considérables, l’attention de l’auteur ne s’est pas, tant s’en faut, concentrée