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« P.-S., 3 mai, à deux heures.

« J’arrive du cercle de la cour tenu à l’occasion de la fête de sa majesté l’impératrice. L’empereur, en s’approchant de moi, m’a dit : « Bonjour, mon cher, avez-vous quelque chose de nouveau de Paris ? — Rien, sire, depuis le courrier que j’ai reçu il y a huit jours. — Quand verrons-nous M. de Barante ? » Un peu étonné de cette question si inattendue, j’ai regardé sa majesté ; elle souriait, j’ai souri aussi, et après un moment d’hésitation je lui ai répondu que je n’en savais encore rien. Son sourire a continué, et l’empereur a passé en faisant un signe d’intelligence qui semblait dire que nous nous entendions.

« Il faut qu’il se soit opéré un bien grand changement pour que sa majesté m’ait adressé une pareille question pendant le cercle. De sa part, ce sont des avances, et sûrement c’est ainsi qu’il le considère. Probablement qu’en m’interrogeant ainsi l’empereur pensait que j’avais connaissance des conversations qu’il doit avoir eues avec M. de Nesselrode et des dépêches qu’il a fait écrire à Paris, tandis que M. de Nesselrode, que je venais de saluer, ne m’en avait rien dit.

« Maintenant si, comme je le crois, il s’imagine que la glace est rompue, il doit être impatient de connaître ce que nous ferons, comment nous accueillerons les dépêches qu’on envoie aujourd’hui à Paris. J’ignore ce qu’il a fait de son côté, j’ignore quels ordres sont donnés à M. de Pahlen ; mais il me paraît que votre conversation avec M. de Kisselef a déterminé chez lui quelque résolution. L’impératrice m’a demandé aussi des nouvelles de M. de Barante. »

M. d’André se trompait, l’empereur Nicolas n’avait point pris de résolution nouvelle ; mais à en juger par le langage de son ministre, ses dispositions persistaient à se montrer favorables en même temps qu’immobiles. J’écrivis le 20 mai au baron d’André :

« Les communications que m’avait faites M. de Kisselef et la conversation que j’avais eue avec lui le 5 avril dernier en ont amené de nouvelles. Il est venu le 14 de ce mois me donner lecture de deux dépêches et d’une lettre particulière de M. le comte de Nesselrode en date du 2 mai.

« La première dépêche roule sur la conclusion des affaires de Servie. M. de Nesselrode nous remercie de nouveau de notre attitude impartiale et réservée. Il affirme que la Russie était pleinement dans son droit et nous envoie un mémorandum destiné à l’établir. En rendant justice à notre équité, il proteste d’ailleurs contre ce que j’avais dit le 5 avril à M. de Kisselef sur les efforts du cabinet russe en 1840 pour nous brouiller avec l’Angleterre.

« J’ai accepté les remercîmens de M. de Nesselrode, et j’ai maintenu