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des exemples. On ne trouverait probablement plus en Saintonge un seul de ces grands lévriers si recherchés au moyen âge pour la chasse aux bêtes fauves, et qu’on échangeait contre un cheval de bataille. Et qui pourrait dire ce qu’est devenue la race des carlins, de ces dogues en miniature que dans notre enfance nous avons vus chez tant de vieilles douairières ?

Quoique assez nombreuses, les opinions émises pour expliquer la multiplicité des races de chiens peuvent se ramener à deux principales. Pour quelques naturalistes, nos chiens domestiques descendent de plusieurs espèces distinctes ; pour la plupart, ils ne sont que des dérivés d’une seule espèce ; mais ces deux idées générales sont d’ailleurs traduites de bien des manières. Les partisans de la première veulent tantôt que les souches sauvages de nos chiens aient disparu, tantôt qu’on les retrouve à l’état sauvage. Aux premiers on répond que la paléontologie n’a jamais rencontré aucun fossile venant à l’appui de leur hypothèse ; aux seconds, que trois ou quatre souches différentes n’expliqueraient pas mieux la variété extrême des races que ne le fait une souche unique, que toutes celles qu’on a indiquées laisseraient en dehors précisément les races les plus exceptionnelles, les bassets, les bichons, etc., qui n’ont aucun analogue parmi les animaux sauvages. À tous on objecte avec raison que chez les chiens comme chez les pigeons « les modifications les plus tranchées n’arrivent au dernier degré de développement que par des gradations insensibles, qu’on les voit naître véritablement, et que dès lors il est impossible de supposer leur existence dans une espèce qui aurait existé antérieurement[1]. » Ce fait n’avait pas échappé à Buffon, et voilà comment il fut conduit à dresser le tableau généalogique des diverses races de chiens en prenant pour point de départ le chien de berger. Frédéric Cuvier, à son tour, l’a mis hors de doute en soumettant à une comparaison détaillée non plus seulement les caractères extérieurs et généraux des races canines, mais encore les appareils sensitifs et reproducteurs, le squelette lui-même, et surtout la tête, les membres et la queue. De cette étude il a conclu que, pour expliquer par la différence des origines l’existence de toutes nos races de chiens, il faudrait supposer au moins cinquante espèces-souches. Ajoutons que toutes ces espèces, — dont on ne trouve nulle part la moindre trace, — devraient joindre à des caractères zoologiques à la fois très différens et très semblables des instincts fondamentaux identiques, et nous croirons en avoir assez dit pour que le lecteur soit amené à conclure, avec Buffon, avec Linné, avec les deux Cuvier, avec M. Isidore Geoffroy, etc., que tous les chiens appartiennent à une espèce unique.

  1. Frédéric Cuvier. On sait combien ce naturaliste était partisan de la fixité des espèces. Un témoignage aussi formel de sa part n’en a donc que plus de poids.