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moins sept de ces formes regardées jusqu’à lui comme spécifiques. Et qu’on ne dise pas qu’il s’agit ici de différences insignifiantes : presque toutes les parties de la plante varient au contraire de manière à expliquer, à excuser l’erreur de Linné et de ses successeurs. À ne parler que des feuilles, on les voit tantôt ovales et presque arrondies, tantôt assez longues pour former un fourrage estimé. Ici, elles sont disposées en rosettes de quelques centimètres de diamètre ; ailleurs, elles forment une touffe droite et fournie. La plante tout entière est tantôt lisse et sans poils, tantôt tellement velue qu’on a désigné une espèce par le nom bien significatif de plantain laineux. Enfin la racine est tantôt annuelle, c’est-à-dire que la plante naît, croît et meurt tout entière en une année, tantôt vivace, c’est-à-dire qu’après avoir passé l’hiver, elle reproduit au printemps des feuilles, des fleurs et des graines. Toutes ces formes transmettent à leurs descendans les caractères qui les distinguent, pourvu qu’elles soient laissées là où elles ont pris naissance ou placées dans les mêmes conditions d’existence. Transplantées ailleurs, placées dans des conditions d’existence nouvelles, elles engendrent des fils qui cessent de leur ressembler et se rapprochent de plus en plus, dévoilant ainsi leur nature et forçant à les reconnaître pour de simples races ceux qui jusqu’ici les avaient regardés comme de véritables espèces.

Malheureusement le procédé si concluant employé par M. Decaisne pour démontrer l’identité spécifique de ses plantains ne saurait constamment s’appliquer. On ne peut pas toujours se procurer les graines des plantes exotiques, et celles-ci se développeraient mal dans notre climat. Souvent aussi les races solidement fixées par une longue suite de générations conservent à des degrés divers les caractères qui les distinguent en dépit du changement de milieu. Alors, pour distinguer les espèces des races, on compare entre eux des échantillons aussi nombreux que possible. Toutes les fois qu’entre deux formes, même très différentes, on peut établir une série graduée d’individus passant de l’une à l’autre par nuances insensibles, toutes les fois surtout qu’on voit les caractères s’entre-croiser dans les termes de cette série, on peut assurer que les deux formes appartiennent à une même espèce. En effet, entre deux espèces, même extrêmement voisines, il n’y a jamais échange ou mélange des caractères propres à chacune d’elles. Ce fait se constate au contraire tous les jours entre les races d’une même espèce, et le moyen que je viens d’indiquer a souvent permis d’arriver à la vérité. L’existence de ces intermédiaires a été invoquée à l’appui de la doctrine qui nie les races sauvages : il est difficile de comprendre, pourquoi. Quelque nombreuse et nuancée que soit la série placée entre les deux extrêmes, elle ne fait pas disparaître les différences