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se formeront les races dont nous allons nous occuper.

Races sauvages ou naturelles. — L’existence de races sauvages parmi les végétaux comme parmi les animaux a été niée par quelques partisans exagérés de la fixité de l’espèce. Il est en effet difficile de rester sur le terrain de l’immutabilité absolue, tout en reconnaissant que des conditions normales d’ailleurs, suffisent pour établir entre les représentans d’un même type spécifique des différences parfois très grandes se transmettant par voie d’hérédité. D’autre part, l’existence de ces races est très importante à constater. À elle seule elle met sur la voie de bien des difficultés, tout en donnant les moyens de les résoudre ; elle n’est pas d’ailleurs difficile à démontrer.

Pour se convaincre qu’il existe des races naturelles végétales, il suffit de tenir compte des faits généraux. À chaque instant, les botanistes ont à réviser leurs catalogues d’espèces ; à chaque instant, entre deux plantes fort dissemblables d’aspect et regardées jusque-là comme parfaitement séparées, ils en découvrent de nouvelles qui passent de l’une à l’autre par des nuances tellement insensibles qu’il devient impossible de les distinguer, qu’il faut englober sous le même nom spécifique non-seulement les deux extrêmes primitivement reconnus, mais encore tous les intermédiaires venant combler entre eux une lacune qui n’était qu’apparente. Extrêmes et intermédiaires se propagent d’ailleurs également, et transmettent à leurs descendans leurs caractères distinctifs. Considéré isolément, chacun d’eux peut être pris à juste titre pour une espèce ; le rapprochement seul montre qu’il n’y a là que des races. Souvent aussi la distinction est difficile, et l’explorateur le plus exercé en est réduit à une incertitude pénible. Ces faits, qui se multiplient chaque jour davantage à mesure que la science se complète et s’éclaire, à mesure que l’on connaît mieux un plus grand nombre de flores, ont fini par jeter les botanistes dans une véritable anxiété, dont M. le comte Jaubert s’est fait l’interprète dans une occasion solennelle[1], et que partagent tous ceux qui ont sérieusement étudié cette question.

Citons ici quelques exemples ; je les emprunte à une note qu’a bien voulu me remettre mon confrère à l’Institut, mon collègue au Muséum, M. Decaisne. Depuis longtemps préoccupé de tout ce qui touche à la question de l’espèce, ayant fait lui-même et vu faire sous ses yeux de nombreuses expériences, ce savant a ici une double autorité. — Linné distinguait deux espèces de joubarbe seulement, les botanistes en admettent aujourd’hui une trentaine ; mais sont-elles toutes, vraiment bonnes ? Il est bien permis d’en douter. — De Candolle a décrit sept espèces de ronces dans sa Flore française,

  1. A une des séances de rentrée de la Société de botanique.