Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/408

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus, car l’un ne peut prétendre à l’impartialité à laquelle est obligé l’autre, et la raison sans impartialité n’est plus tout à fait la raison. En un mot, il implique de traiter la religion comme matière controversable et de professer en même temps qu’entre elle et l’adversaire il n’y a pas d’arbitre, et que le choix est interdit.

Indépendamment des causes morales qui, plus puissantes que les raisons logiques, cuirassent le théologien contre toutes les atteintes d’une discussion en forme, il faut signaler une autre incompatibilité qui réside au fond même de la discussion. Il n’est pas d’apologiste, je parle des plus éclairés, qui ne distingue la foi de la raison, et qui n’admette que l’une n’est pas pleinement soumise à la juridiction de l’autre. Il est de foi que la foi est un don de la grâce. La volonté et la réflexion, avec lesquelles nous obtenons l’évidence des vérités mathématiques, n’ont jamais passé pour des moyens suffisans d’arriver en religion à croire ce qu’il faut croire, à le croire du moins du genre de foi nécessaire au salut. Ainsi la simple croyance ou l’adhésion au dogme, déterminée par de certaines preuves, n’est pas encore la foi, elle en est même indépendante : elle peut exister sans la foi, comme la foi peut se rencontrer sans elle. La foi, seule nécessaire, n’est donc pas le fruit de la discussion, et le prêtre, qui doit tendre avant tout à obtenir cette foi, doit prendre une autre voie ; quand il veut bien ne faire que discuter, il trompe en quelque sorte l’adversaire, s’il ne le prévient que le débat logique est pour lui sans valeur, puisque son esprit seul pourrait en être dérangé dans son acquiescement raisonné à des vérités auxquelles il n’en resterait pas moins attaché par d’autres liens, par des liens que rien ne peut rompre. En effet, la discussion régulière devrait être précédée de cette déclaration : « il s’agit des vérités de la foi ; or je vous préviens que la foi est hors de débat, car si je l’emporte dans la dispute, votre adhésion même ne sera pas encore la foi, et si vous avez le dessus, je pourrai céder sur le raisonnement ; mais je garderai ma foi, qui n’en dépend point. » Qu’est-ce donc qu’une discussion qui par ses formes semble décisive, et qui, de quelque façon qu’elle tourne, ne décide rien ?

Réduite même à sa valeur logique, et en lui donnant pour objet unique une victoire argumentative, la seule qui puisse être remportée, elle promettrait plus qu’elle ne peut tenir. C’est une opinion des meilleurs théologiens que les vérités chrétiennes, quoique susceptibles d’être justifiées de manière à déterminer la persuasion, ne peuvent être établies rigoureusement, et par des raisons démonstratives, mais seulement par des raisons probables (saint Thomas), ou, comme disent de moins hardis, par des motifs de crédibilité (le père Perrone). Or une controverse en règle ne peut se terminer