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j’y voie tout ce qu’il y a. Pardonnez-moi mon monologue. Quand je dis que vous avez voulu nous brouiller avec l’Angleterre, j’ai tort ; l’empereur a trop de sens pour vouloir en Europe une brouillerie véritable, un trouble sérieux, la guerre peut-être : non, pas nous brouiller, mais nous mettre mal, en froideur avec l’Angleterre, nous tenir isolés, au ban de l’Europe. Quand nous avons vu cela, quand nous avons reconnu là l’effet des sentimens personnels de l’empereur, avons-nous pu croire qu’ils n’influaient en rien sur la politique de son cabinet ? N’avons-nous pas dû les prendre fort au sérieux ? C’est ce que nous avons fait, c’est ce que nous ferons toujours. Et pourtant nous sommes demeurés parfaitement fidèles à notre politique, non-seulement de paix, mais de bonne harmonie européenne. L’occasion de suivre votre exemple de 1840 ne nous a pas manqué ; nous aurions bien pu naguère, à Constantinople, à propos de la Servie, exploiter, fomenter votre mésintelligence naissante avec la Porte, cultiver contre vous les méfiances et les résistances de l’Europe. Nous ne l’avons point fait, nous avons donné à la Porte les conseils les plus modérés, nous lui avons dit que ses bons rapports avec vous étaient, pour l’Europe comme pour elle, le premier intérêt. Nous avons hautement adopté, pratiqué la grande politique et laissé de côté la petite, qui n’est bonne qu’à jeter des embarras et des aigreurs au sein même de la paix, qu’on maintient et qu’on veut maintenir

« M. DE KISSELEF. — Notre cabinet rend pleine justice à la conduite et à l’attitude que le baron de Bourqueney a tenues à Constantinople : il y a été très sensible, et je suis expressément chargé de vous lire une dépêche où il en témoigne toute sa satisfaction.

« Moi. — Je serai fort aise de l’entendre. »


Huit jours après cette communication, le 13 avril 1843, j’écrivis confidentiellement au baron d’André :

« Monsieur le baron,

« Je vous envoie le compte-rendu de l’entretien que j’ai eu avec M. de Kisselef au sujet ou plutôt à l’occasion des communications qu’il m’a faites il y a quelques jours, et dont je vous ai déjà indiqué le caractère. Vous n’avez aucun usage à faire de ce compte-rendu. Je vous l’envoie pour vous seul, et pour que vous soyez bien au courant de nos relations avec Saint-Pétersbourg, de leurs nuances, des modifications qu’elles peuvent subir, et de mon attitude. Réglez sur ceci la vôtre, à laquelle du reste je ne vois, quant à présent, rien à changer. Ne témoignez pas plus d’empressement, ne faites pas plus d’avances ; mais accueillez bien les dispositions plus expansives qui pourraient se montrer, et répondez-y par des dispositions analogues.