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« Le rapport que le prince Wolkonski m’a remis de votre part m’a fait connaître votre entretien avec l’aide-de-camp français général de Lauriston.

« Dans la conférence que j’ai eue avec vous au moment de votre départ, et lorsque je plaçai mes armées sous vos ordres, je vous informai de mon ferme désir d’éviter toute négociation avec l’ennemi et tous rapports avec lui qui puissent avoir la paix pour objet. — Maintenant, après ce qui vient de se passer, je dois vous répéter avec la même résolution que je désire voir adopter par vous, dans toute son étendue et dans sa plus inflexible rigueur, le principe posé par moi.

« J’ai aussi appris avec un extrême déplaisir que le général Beningsen a eu une entrevue avec le roi de Naples, et cela sans le moindre motif qui pût le pousser à une démarche pareille. Après que vous lui aurez fait comprendre l’inconvenance de ce procédé, je vous demande à vous-même une surveillance active et sévère qui empêche d’autres généraux d’avoir des entrevues avec l’ennemi et de tenir de pareils colloques[1]… »


À ces entrevues dont se plaignait l’empereur, et qui en effet devenaient de plus en plus fréquentes, sir Robert Wilson ne se mêlait jamais, et Murat, qui plus tard le revit à Naples, lui rappelant l’espèce d’affectation avec laquelle il se tenait à l’écart, se reprochait de n’y avoir pas deviné la prochaine reprise des hostilités ; « mais j’étais comme l’empereur, ajoutait-il, le fantôme de la paix m’éblouissait. » Le commissaire anglais cependant n’ignorait guère les propos tenus chaque jour, aux avant-postes de Vinkovo et de Taroutino, entre les officiers supérieurs des deux armées, sur une ligne de terrain tacitement neutralisée. Ainsi Murat disait à Beningsen : « Nous avons besoin de la paix, moi surtout, qui ai mon royaume à gouverner ; » à quoi Beningsen répondait : « Plus vous avez envie de la paix, moins nous la désirons. D’ailleurs le tsar s’y résoudrait, que les Russes n’en voudraient pas. Et, pour être franc jusqu’au bout, je suis, moi qui vous parle, tout à fait de leur avis. » Murat répliquait : « On vient à bout des préjugés nationaux.. — Pas en Russie, répliquait son interlocuteur. Les Russes sont de terribles gens,… ils tueraient sur place tout homme qui parlerait de négocier. » Ailleurs la conversation s’établissait entre le général Korf et un de nos généraux divisionnaires[2]. « Nous sommes véritablement fatigués de cette guerre, disait cet officier ; donnez-nous nos passeports, et nous partons. »

  1. Nous remarquons au bas de cette lettre, donnée textuellement, et avec la signature du tsar, une date 4 octobre 1812) qui en infirmerait l’authenticité, n’était qu’il peut y avoir confusion, par suite de la différence des calendriers ou même une simple faute d’impression le 4 pour le 14, par exemple). — Le 4 octobre en effet est le jour où M. de Lauriston vit, à onze heures du soir, le maréchal Kutusov. Il est clair que le tsar ne pouvait, à cette date, avoir reçu avis de cette entrevue.
  2. Sir Robert Wilson donne à ce général un nom qui nous est absolument inconnu.