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ses intérêts politiques, les dispositions qu’on lui témoigne et celles qu’il lui convient de témoigner. Rien, absolument rien de personnel ne s’y mêle de ma part.

« M. DE KISSELEF. — C’est ainsi, je n’en doute pas, que l’entend M. de Nesselrode.

« Moi. — Je l’espère, et je ne comprendrais pas qu’il en pût être autrement ; mais alors, en vérité, je comprends encore moins que M. de Nesselrode me taxe de dispositions peu favorables à la Russie. Rien dans la politique naturelle de mon pays ne me pousse à de telles dispositions. Les penchans publics en France, les intérêts français en Europe n’ont rien de contraire à la Russie. Et, si je ne me trompe, il en est de même pour la Russie ; ses intérêts, ses instincts nationaux ne nous sont pas hostiles. D’où me viendraient donc les dispositions que me suppose M. de Nesselrode ? Pourquoi les aurais-je ? Je ne les ai point. Mais puisqu’il est question de nos dispositions, permettez-moi de tout dire : qui de vous ou de nous a témoigné des dispositions peu favorables ? Est-ce que l’empereur ne fait pas, entre le roi des Français et l’empereur d’Autriche, une différence ? Est-ce qu’il a, envers l’un et l’autre souverain, la même attitude, les mêmes procédés ?

« M. DE KISSELEF. — Pardonnez-moi, je ne saurais entrer dans une telle discussion.

« Moi. — Je le sais. Aussi je ne vous demande point de discuter ni de me répondre. Je vous prie seulement d’écouter et de transmettre à M. de Nesselrode ce que j’ai l’honneur de vous dire. Je répondrai à l’estime qu’il veut bien me témoigner par une sincérité complète. Quand on touche au fond des choses, c’est le seul langage convenable et le seul efficace. Eh bien ! sincèrement, n’est-ce pas témoigner pour la France des dispositions peu favorables que de faire, entre son roi et les autres souverains, une différence ? Est-ce là un fait dont nous puissions, dont nous devions ne pas tenir compte ? Nous en tenons grand compte. Il influe sur nos dispositions, sur notre politique. Si l’empereur n’avait pas reconnu ce que la France a fait en 1830, si même, sans entrer en hostilité ouverte et positive, il était resté étranger à notre gouvernement, s’il n’avait pas maintenu avec nous les rapports réguliers et habituels entre les états, nous pourrions trouver, nous trouverions qu’il se trompe, qu’il suit une mauvaise politique : nous n’aurions rien de plus à dire ; mais l’empereur a reconnu ce qui s’est fait chez nous en 1830. Je dis plus, je sais qu’il avait prédit au roi Charles X ce qui lui arriverait s’il violait la charte. Comment concilier une politique si clairvoyante et si sensée avec l’attitude que garde encore l’empereur vis-à-vis du roi ? Je n’ignore pas ce qu’il y a au fond de l’esprit de l’empereur.