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trouvèrent rien de mieux que de choisir pour interprète un homme sur qui la colère impériale ne pouvait tomber, et dont le témoignage d’ailleurs était à l’abri de tout soupçon. Sir Robert Wilson reçut d’eux et crut pouvoir accepter une mission qui consistait à solliciter l’éloignement du comte Romanzov, regardé comme l’avocat de la paix, le partisan de l’alliance française, à demander surtout la désignation d’un nouveau généralissime, plus décidé, plus vigoureux que celui sous les ordres duquel on avait si longtemps battu en retraite.

Ce mandat singulier, nous ne croyons pas que les historiens en aient jamais fait mention. Rempli comme il le fut, il a pourtant sa valeur, et nous nous reprocherions de laisser dans l’ombre un épisode aussi curieux. Nous nous reprocherions même d’altérer, en l’abrégeant trop, le témoignage historique de sir Robert Wilson ; Il parlera donc lui-même, et, sauf quelques modifications de pure forme, c’est son récit qu’on aura sous les yeux. Ce récit, dans le texte original, est à la troisième personne.


« Sir Robert Wilson arriva le 24 août à Saint-Pétersbourg. Il n’y trouva point le tsar, parti en compagnie de lord Cathcart, l’ambassadeur d’Angleterre, pour la ville d’Abo, où il devait trouver le roi de Suède (Bernadotte). C’est alors que furent conclues les négociations qui, moyennant la Norvège garantie à la Suède (l’Angleterre était de moitié dans cette garantie) et 25 millions de subsides, rendaient disponible l’armée russe alors en Finlande, et assuraient le concours d’un corps de troupes suédoises. Elles ouvrirent de plus à Bernadotte la perspective de monter un jour sur le trône de France, car Alexandre déclara au roi de Suède qu’il regarderait ce trône comme vacant, si Napoléon était renversé. — Qui l’aura donc alors ? demanda Bernadotte. — Le plus digne, répondit le tsar, accompagnant ces mots d’un mouvement de tête significatif.

« L’arrivée de sir Robert Wilson, les bonnes nouvelles qu’il apportait sur l’état moral et matériel de l’armée russe, contribuèrent puissamment à relever dans la capitale les courages abattus. De vives alarmes y régnaient alors. Les archives, le trésor de l’état, le mobilier des palais impériaux, étaient déjà disposés pour un prochain départ. Comme on le pense bien, sir Robert Wilson ne donna connaissance de ses instructions spéciales qu’aux personnes dont la conformité de vues lui promettait une coopération sincère et utile.

« L’empereur rentra le 3 septembre dans sa capitale. Sir Robert, qui avait déjà diné plusieurs fois avec les deux impératrices, reçut immédiatement une invitation, et l’accueil qu’on lui fit fut assez cordial pour l’engager à ne point reculer devant les difficultés inhérentes à sa mission. Au sortir de table, le tsar l’emmena dans son cabinet, où la conférence s’ouvrit par le récit détaillé de ce que sir Robert Wilson avait recueilli soit à Constantinople, soit à Schoumla, auprès de l’amiral Tchichagov, et enfin sous les murs de Smolensk. L’empereur, après avoir écouté ces renseignemens, mit